CHABAT CHEMOT

13 JANVIER 2007 – 23 TEVET 5767

Jérusalem Paris Montréal
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Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser deux Dvar Thora sur la paracha de la semaine consacrés à la Bar Mitsva de Yéhouda Arié ELBILIA

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Le bâtiment est situé face au Mont HERZL et nous serons toujours heureux de pouvoir vous y accueillir avec les 18 enseignants, les 10 avrehim et les 153 étudiants.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de

Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbat Chalom,

Rav Chalom Bettan


Pourquoi une minorité essentielle ?

Par le Rav Eliahou Elkaïm

D’après nos Sages, au moment de l’esclavage en Egypte, la tribu de Lévy n’a pas subi l’asservissement qu’a enduré le reste du peuple juif. Durant cette période sombre de deux cent dix ans, la tribu de Lévy est restée parfaitement libre.

De ce fait, Moïse et Aaron, tous deux issus de la tribu de Lévy, ont pu circuler et vivre librement, accomplissant ainsi leur mission. On le voit, la tribu de Lévy avait déjà un rôle particulier dès cette époque, bien avant d’avoir été choisis pour être les prêtres préposés au service divin : cette tribu devait se consacrer entièrement à l’étude de la Thora et au perfectionnement de la personnalité.

Une exception étonnante

L’Egypte de l’époque n’était pas une démocratie comme on en connaît en Occident, et l’asservissement d’une peuple entier dans les pires conditions était admise et même considérée comme légitime.

Pharaon était un dictateur et ni un parlement, ni une opinion publique défavorable étaient en mesure d’influencer ses décisions.

En outre, Pharaon niait l’existence de D.ieu et refusait catégoriquement d’accéder à la demande divine de libérer le peuple juif.

« Moïse et Aaron vinrent trouver Pharaon et lui dirent : « Ainsi à parlé l’Eternel, D.ieu d’Israël : Laisse partir mon peuple, pour qu’il célèbre mon culte dans le désert. » Pharaon répondit : « Quel est cet Eternel dont je dois écouter la parole en laissant partir Israël ? Je ne connais point l’Eternel, et certes je ne renverrai point Israël. » (L’Exode 5 ; 1, 2).

On le voit, Pharaon ne s’embarrasse pas de problème de conscience. Comment expliquer dans ces conditions qu’une tribu entière soit dispensée du travail forcé ?

Premier élément de réponse, il existait dans la législation égyptienne de cette époque, une loi qui accordait aux prêtres égyptiens païens un statut particulier. C’est ce dont fait acte la Thora dans la paracha Vayigach :

« Toutefois, le domaine des prêtres il ne l’acquit point. Car les prêtres recevaient de Pharaon une portion fixe, et ils consommaient la portion que leur allouait Pharaon, de sorte qu’ils ne vendirent pas leur domaine. » (47 ; 22)

Lorsque Joseph, alors administrateur de l’Egypte, vendit du pain aux Egyptiens contre leurs biens immobiliers, cela au profit du trésor public, les prêtres païens eurent droit à une prise en charge gratuite, par le biais de cette loi.

C’est cette même loi qui sera appliquée pour affranchir la tribu de Levy de tout travail forcé.

Mais comment une loi concernant des prêtres païens suffit-elle à dispenser des milliers d’hommes d’un travail qui rapportait beaucoup à l’Egypte, des hommes qui de surcroît, aux yeux de Pharaon, étaient au service d’un D.ieu dont il niait l’existence ?

Morale et rendement

Une seule explication est possible : le statut des prêtres en Egypte n’était pas seulement dû à une considération religieuse pure.

L’idée qui se cache derrière cette loi était que la présence de personnes qui se consacrent à une pratique religieuse et à une méditation théologique renforce le niveau moral de toute communauté.

Pour qu’un peuple réduit à l’esclavage conserve un bon rendement, il est obligatoire qu'il conserve un certain niveau moral. Sans cette moralité, il n’y a plus de structure, cela entraînant une anarchie qui entrave le travail.

Il était donc indispensable, aux yeux de Pharaon, que le peuple juif garde en son sein un groupe d’individus consacrés au domaine de l’Esprit et de la morale.

Cette idée, Pharaon l’a tellement bien comprise, qu’il l’a mise en pratique, perdant pourtant des milliers d’hommes actifs dispensés de travail. Et cette idée s’est avérée parfaitement juste. Grâce à une minorité d’individus consacrés à la sainteté, le peuple d’Israël a su rester structuré, organisé, il a su rester lui-même.

Nos Sages rapportent que pendant toute la période du joug égyptien, la Kedoucha, (sainteté) et l’intégrité de la cellule familiale ont été parfaitement préservées dans le peuple d’Israël.

Une seule exception est mentionnée par la Thora, celle de Chelomith bat Divri, de la tribu de Dan. Son manque de pudeur entraîna en effet une mésaventure dramatique avec un Egyptien (cf. le commentaire de Rachi sur le verset 11 du chapitre 2 de Chemot).

Cette exception vient justement mettre en valeur un phénomène unique en son genre dans toute l’histoire. A-t-on vu ailleurs une nation écrasée, asservie par un autre peuple, ayant perdu tous ses droits durant une période très étendue, sans qu’aucun de ses membres, et notamment aucune de ses jeunes filles, ne cède aux avantages qu’aurait offert une collaboration avec l’oppresseur ?

Cela signifie que le peuple juif a su garder sa particularité, sa singularité.

Et pourtant, l’Egypte n’était pas un pays où régnait une morale élevée.

On le constate au moment où Avraham dût quitter la terre de Canaan pour l’Egypte. Son premier souci fut de demander à sa femme Sara se faire passer pour sa sœur, sachant pertinemment que sans ce subterfuge, elle serait kidnappée, et lui-même serait assassiné. Malgré tout, Sara fut séquestrée, preuve, s’il en fallait, que les craintes de notre patriarche étaient parfaitement fondées.

Dans la perversion égyptienne, seule la présence de la tribu de Lévy, bouclier de morale et de pureté, a pu préserver l’entité du peuple juif.

Après la sortie d’Egypte, cette tribu garde son rôle particulier, même quand le contexte a totalement changé et qu’Israël est devenu le peuple élu :

« Car toute la terre est à Moi, mais vous, vous serez pour moi une dynastie de prêtres, une nation sainte. » (Yitro, 19 ; 6)

Au coeur d’un peuple saint, le rôle de la tribu de Lévy n’est pas seulement celui de prêtres préposés au service divin. Sa mission consiste également à diffuser l’étude de la Thora et à transmettre l’élévation morale dans tout le peuple d’Israël.

C’est la le sens de la bénédiction de Moïse avant sa mort, quand il s’adresse à la tribu de Lévy :

« Ils enseignent Tes lois à Jacob et ta doctrine à Israël ; présentent l’encens devant Ta face, et l’holocauste sur Ton autel. »(Devarim 33; 10)

Et aussi dans les Chroniques :

« Il dit aux Lévites qui enseignaient à tout Israël et qui étaient consacrés à l’Eternel : « Mettez l’Arche sainte dans le Temple qu’a construit Salomon, fils de David, roi d’Israël. Vous n’avez plus à la porter sur l’épaule. A présent, servez l’Eternel, votre D.ieu et son peuple Israël. » (35 ; 3)

A la tribu de Lévy va s’ajouter celle de Yissahar, qui, par un accord avec son frère Zevouloun, va également se consacrer entièrement à la Thora. Zevouloun, en assumant l’aspect matériel de la vie de Yissahar, sera associé à part entière à l’étude de son frère, et aura le mérite de cette mitsva.

Grâce au dénombrement des tribus au début du livre des Nombres, nous savons que ces deux tribus représentent plus de 12 % de l’ensemble du peuple d’Israël.

Si une telle proportion était nécessaire à une époque beaucoup moins mouvementée que la notre, très proche dans le temps de la révélation du Mont Sinaï, et où le peuple juif était à un niveau moral bien plus élevé que celui que nous connaissons aujourd’hui, quel devrait être de nos jours le pourcentage du peuple juif qui se consacre à la Thora, à son étude et à sa transmission ?

Si nous voulons garder notre différence, notre spécificité, pouvons-nous nous permettre d’être moins lucide que Pharaon ?


Israël, la part cachée

Par le Rav Moshé Tapiero

Lorsque Yaacov et sa famille partent s’installer en Egypte, ils sont soixante neuf personnes. Yochéved, mère de Moshé, vit le jour alors qu’ils traversaient la frontière atteignant ainsi le chiffre de soixante-dix attesté par la Torah (Chemot 1,5. Voir Rashi 2,1).

Les événements décisifs ne doivent rien au hasard. L’entrée en Egypte qui marque le début d’une longue période d’asservissement ne pouvait se produire avant que la tribu d’Israël n’atteigne ce nombre. Soixante-dix, chiffre propice à l’assujettissement d’Israël aux nations qui relèvent de l’ordre de la pluralité. (Maharal, Guévourot Hachem chap. 11)

Un et soixante-dix : puissance du nombre

L’énoncé semble simple. Le nombre sept exprime la pure diversité. Il fait exploser l’unité géométrique des six dimensions spatiales (largeur, hauteur, profondeur). Le sept manifeste dispersion et dissémination : «ils t’attaqueront unis en un seul front et fuiront devant toi dans sept chemins » (Devarim 25,7).

Appliquée à l’ensemble de toutes les nations par une extension propre au chiffre dix, cette définition de l’humanité comme dispersion et pluralité s’exprime donc à travers le chiffre soixante-dix. La lettre AÏn de valeur numérique soixante-dix signifie l’humanité en extension.

Israël par contre relève de la pure unité. Rattaché à l’Unique sous le regard duquel il déroule son aventure, le peuple juif surmonte diversité et pluralité. La richesse de la diversité ne dérive pas en dissémination parce que tous les éléments, singuliers et différents, procèdent du même. Unité qui exprime non pas un quelconque particularisme pauvre et affaibli, mais le tout du réel. Elle s’exprime en référence à la lettre Aleph.

Aleph et AÏn, Israël seul se tient comme une brebis entourée de soixante-dix loups (Midrach). Chacun prétend atteindre le réel. Les deux lettres qui les représentent se ressemblent étrangement : un graphique similaire et une prononciation presque identique. Quasi ressemblance qui cache le plus décisif des antagonismes. Comment dire le réel, comment saisir la totalité de l’existence ? Est-ce par une pluralité sans limite ou au contraire par un retour constant à l’unité fondatrice.

Tant qu’Israël reste attaché à l’unité elle ne saurait être asservit. Ici toutefois se love la menace. Après avoir acquis des patriarches les fondements de son identité, Israël doit affronter la diversité, atteindre la multiplicité. La puissance de l’un implique qu’elle se justifie à tous les niveaux du réel. Que vaudrait l’Infini s’il n’atteignait pas le fini, si la configuration générale du réel laissait pour compte cette part maudite, ce un en trop qui ruine tout l’édifice ! Mais dès lors qu’Israël s’éprouve au régime de la multiplicité, son identité peut être affectée. Il tombe sous l’emprise des nations : Genèse de l’exil.

La part cachée

Que signifie de vivre sous le régime de l’unité ou au contraire de la multiplicité ?

La réalité est dévoilement. Voilà une proposition incontestée. L’occident pense cette révélation comme étant par essence totale et sans limite. Les Maîtres d’Israël enseignent au contraire qu’il reste toujours une part cachée, un lieu en retrait, une dimension de pure intériorité qui ne s’explicite pas et ne se dévoile jamais.

La pensée héritée des grecs entend le réel comme son propre dévoilement. Si les choses parlent ce n’est que d’elles-mêmes. Si de la nature s’élève un chant magnifique, il n’est chanté que pour sa propre gloire. Coïncidence totale du réel à son dévoilement, refus d’accorder quelque consistance à ce qui ne se saisit pas et ne se révèle pas. Monde de choses et non de lettres.

D’emblée la Torah parle d’un monde fait de lettres. Les choses ne parlent pas d’elles-mêmes mais d’un ailleurs dont elles procèdent et dont vient le sens. Le sensé est sens et direction vers un lieu en retrait de tout dévoilement et qui pourtant constitue le réel même. L’existence ne s’épuise pas dans sa propre révélation. Son extrême dignité tient dans sa capacité de témoigner de la présence de cette part cachée qui jamais ne s’offre au regard et qui pourtant commande tout dévoilement.

Un monde de lettres, ou règne d’une intériorité qu’aucune extériorisation ne saurait épuiser. Vivre dans un tel univers ne se peut que si l’on acquière le sens de l’intériorité, de la pudeur et de la réserve. Tout ne saurait être dit, la parole ne peut pas tout exprimer. Vivre dans un monde de dévoilement et de révélation mais en restant fidèle à cette part cachée où se love le secret du réel.

La vertu d’Israël

Plongé dans l’amertume de l’esclavage, soumis aux influences néfastes de l’oppresseur, les hébreux en Egypte maintinrent toujours leur nom, leur langue, et leurs habits (Midrach). Garder son nom, c’est maintenir envers et contre tout le secret de son identité. Pari audacieux, réussi pourtant grâce à cette fidélité incessante, à cette part cachée d’où procède toute réalité. Maintenir une pudeur vestimentaire dans un monde décadent parce que la dignité du corps exige réserve et retenue. S’exposer totalement c’est renier cette part cachée qui se refuse à tout dévoilement.

Secret de l’intériorité d’où procède une éthique du langage. Tout ne peut être dit. La parole, instrument essentiel de la révélation, doit respecter ses limites, s’associer le silence et la retenue. La médisance atteste d’une méconnaissance des limites de la parole, comme si tout pouvait être sujet à l’exposition.

Certes la chose est enfin connue » (Chemot 2,14). Si parmi les juifs, certains sont capables de délation et de médisance, alors la cause de l’exil m’apparaît enfin, s’exclame Moshé. (Rachi)

Le règne de l’intériorité passe par une retenue et une réserve du langage. Ethique difficile dans laquelle on reconnaît la marque de la hauteur et de la dignité.