Chabbath Parachat Vayakel-Pékoudé

24, 25 mars 2006 – 24, 25 adar 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies17 h 18 18 h 51 17 h 53
Sortie de Chabbath 18 h 30 19 h 5618 h 57

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth).

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora». Le quatrième volume est déjà sous presse et nous espérons vous le faire parvenir dans les meilleurs délais.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Cette année, nous avons accueilli la nouvelle promotion, ce qui porte le nombre des élèves de la Yéchiva à 140. Le corps enseignant compte dorénavant 16 membres.

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ces paroles de Thora sont également dédiées à la mémoire de

David ben Yéhouda Temstet

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Chabbath Parachat Vayakel-Pékoudé

24, 25 mars 2006 – 24, 25 adar 5766

Un regard destructeur

(Deuxième partie)

Par Rav Eliahou Elkaïm

Porter un regard malveillant sur les autres ( ayin hara ) a des conséquences sur son prochain mais aussi sur soi-même. Le Talmud va nous permettre de comprendre que cette notion est loin d’être une superstition…

«Rabbi Jéochoua disait: ‘Le mauvais œil, le mauvais penchant et la haine des créatures expulsent l’homme du monde’».

(Chapitre 2, Michna 11)

Dans le Dvar Thora de la semaine dernière, nous citions Rabbénou Yona et le Rachbats qui expliquent le phénomène qu’est un regard malveillant (ayin hara), comme étant une véritable force destructrice que l’homme met en marche.

Le Maharal ajoute une note supplémentaire. Il cite à ce sujet un texte du Talmud (Sota 38b):

«Rabbi Yeochoua ben Lévy dit: ‘Même les oiseaux peuvent reconnaître un regard malveillant. C’est ce que le verset des Proverbes nous enseigne:

« Certes, les filets paraissent dressés sans aucun but aux yeux de la gente ailée» (1-7)

Il interprète: ‘Ceux qui ont un œil malveillant ont un tel effet destructeur que même les oiseaux peuvent le discerner, car les oiseaux, qui ont la possibilité de s’élever dans les airs, sont les créatures les plus proches de la spiritualité.’

Ce texte vient nous enseigner qu’un regard malveillant a un tel effet destructeur que même certains êtres vivants peuvent le distinguer.

C’est la raison pour laquelle le verset affirme que les filets n’auront pas l’effet escompté: celui qui y dépose de la nourriture pour attirer les oiseaux n’aura pas beaucoup de succès, dans la mesure où ces derniers, par leur perception particulière, reconnaissent l’œil malveillant qui se cachent derrière cette apparente bonne intention.

(…) Dans un texte du Talmud (Baba Metsia 107b), Rav explique le verset:

«L’Eternel écartera de toi tout fléau» (Deutéronome 7-15)

Il commente: ‘Il s’agit du mauvais œil et cette affirmation doit être expliquée de la façon suivante: quatre éléments sont la base de la création (la terre, le feu, l’air et l’eau, Ndlr.)

L’équilibre de ces quatre éléments assure le bon fonctionnement du monde et la santé des créatures.

Toute atteinte à l’un de ces éléments déstabilise la création et entraîne des maladies. D’après Rav, c’est l’œil malveillant qui possède le plus grand pouvoir destructeur, car il ‘brûle’ et détruit, comme le feu. (…)

Il faut donc tout faire pour s’en protéger.»

(Nétivot Olam, ayin tov, chap 1)

Une volonté qui est acte

Comment expliquer cette force destructrice liée à un regard malveillant?

Comment comprendre ce phénomène que l’on ne peut pas observer physiquement et qui pourtant existe?

Rav Dessler dans «Mihtav meeliahou» (vol 3 p.314, vol 4 p.5 et 6), ainsi que Sifté ‘Haïm (son élève Rabbi Haïm Frielander) dans «Emouna vehachga’ha» (vol 1 p.393-398), nous éclairent sur ce singulier concept.

«L’homme a été créé à l’image de son Créateur, comme l’exprime le verset:

«Car l’homme a été fait à l’image de D.ieu» (Genèse 9-6)

Cela signifie que l’être humain possède une volonté (ratson) d’une envergure extraordinaire.

Car la volonté de D.ieu, est déjà une réalité, une existence.

C’est cette idée qui est exprimée dans les mots de la prière ‘barou’h cheamar’ où il est dit: ‘Béni soit Celui qui par la seule parole (expression de la volonté, Ndlr.) a créé l’univers’.

Chez l’homme, il y a un décalage entre la volonté et l’acte: la volonté doit être suivie d’un acte pour être accomplie.

Cependant, sous certaines conditions et dans certaines circonstances, l’homme possède une force particulière qui est effective par le simple biais de la volonté, sans passer par l’acte.

Cette force lui permet de mettre en danger son prochain, ou même d’entraîner la destruction de sa personne et de ses biens.

C’est ce qui se produit quand cette volonté est transmise par un regard malveillant.

Rabbénou Bahya explique de cette façon la requête de Balak à Bileam qui désire monter sur des hauteurs pour observer le peuple d’Israël dans le but de les maudire.

Son intention était d’exprimer sa volonté de les détruire par un regard englobant. Cette force est une des composantes de l’âme humaine.» (Rabbénou Bahya Nombres 22-41)

Une loi surprenante

Le Maharal utilise la même idée pour expliquer l’une des clauses de la loi des ‘edim zomemim’ (faux témoins) qui tentèrent de faire punir des innocents.

L’Ecriture précise: «Si ce témoin est un faux témoin, et s’il a émit un mensonge contre son frère, vous lui ferez subir le traitement qu’il prévoyait (kaacher zamam) pour son frère.» (Deutéronome 19- 18; 19)

Le terme kaacher zamam (ce qu’il prévoyait) est interprété par nos maîtres comme excluant le cas où le mensonge a été découvert après l’exécution de la peine.

Dans ce cas, le faux témoin ne subira pas le même châtiment que l’accusé.» (Talmud Makot)

Pourtant, la logique aurait exigé une loi inverse: si les mauvaises intentions du faux témoin n’ont pas pu se concrétiser, on pourrait penser que leur acte est finalement moins grave que si la victime a bel et bien subit le châtiment. C’est la différence entre une intention et un acte concrétisé.

Comment expliquer cette loi surprenante?

Le mauvais dessein des faux témoins exprime leur volonté puissante de nuire à leur prochain.

Cette volonté est si forte qu’elle doit forcément exercer son effet:

  • Si le mensonge est découvert après l’exécution, c’est évidemment sur l’accusé que se porte la force destructrice.
  • Si le mensonge est découvert avant l’exécution de la sentence, et que l’accusé a donc été acquitté, cette puissance négative s’exercera sur les faux témoins, par l’application de la peine sur eux par le BETH DIN.

Pour illustrer cette idée, le Maharal prend l’exemple d’un ballon. Il atterrira à l’endroit où la force de propulsion l’aura dirigé. Mais s’il rencontre un mur, ou un obstacle quelconque, il rebondira et atteindra celui qui l’a lancé.

Cette force négative, propulsée par le faux témoin, va donc alors revenir vers son origine, si elle a rencontré un obstacle, qui est la découverte du mensonge.

Cette force peut également atteindre les accusés, si elle ne rencontre pas d’obstacle. Dans ce cas, les témoins méritent évidemment une grave punition, mais elle sera indépendante des hommes.

En effet, ultérieurement, c’est la volonté de D.ieu (bidé chamayim) qui se chargera de la punition du faux témoin, mais ce n’est pas leur volonté de nuire qui se retournera contre eux. (Gour Arié, Devarim 19-19)

De cette loi sur les faux témoins, on peut comprendre le phénomène qui se produit avec un regard malveillant, car c’est le même mécanisme.

Si les mérites de la victime du mauvais œil, ou une quelconque protection empêchent la force négative d’agir, l’effet se retournera contre l'émetteur lui-même.

C’est lui qui va donc en souffrir, c’est le sens du verset:

«Mais la jalousie est la carie des os» (Proverbes 14-30)

Cela confirme les mots du Rachbats que nous avons cité la semaine dernière.

Seule la volonté divine peut protéger du regard malveillant. S’il a été décrété dans les sphères supérieures que ce regard pourra m’atteindre, je ne pourrais m’en dérober.

A l’inverse, quelque soit la puissance de ce regard, si la volonté divine est de me protéger, sa protection est déjà effective, et rien ne pourra s’y mesurer…

Mais une question reste présente: pourquoi, dans ces conditions où tout est décidé par D.ieu, craignons-nous tant le mauvais œil? Ce sera le sujet de notre prochain Dvar Thora…


Commentaires sur la Paracha Vayaqhel – Pequoudé

Un goût de paradis

Par le Rav Eliahou Elkaïm

A première vue, le travail est présenté dans la Thora comme une punition qui vient marquer une déchéance de statut. Et c’est ainsi qu’il est le plus souvent ressenti par les hommes. Pourtant, si l’on cherche derrière les apparences, le travail nous est donné par D.ieu pour une bien plus haute fonction…

La déchéance d’Adam après la faute inscrit le travail de l’homme comme malédiction. Le plan initial de la création définissait certes la tâche de l’homme : « D.ieu déposa Adam dans le jardin pour le travailler et le préserver » (Bereshit 2,15).

Mais ce travail avait un goût de paradis. Etre en charge du jardin d’Eden signifie le respect des 613 Mitsvot. Tout le labeur humain prend son sens à partir de la Mitsva, et grâce à elle, il n’est pas vain mais constructif. A partir de la faute, le labeur perd sa dignité, il est marque cuisante de la chute de l’humain : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (Berechit 3,19).

Cette situation est-elle irrémédiable ? Existe-t-il une possibilité de retrouver dans le travail la noblesse de la vocation humaine ?

Le travail : malédiction ou bonheur ?

Le Chabbat permet la Rédemption du labeur humain. Il permet de renouer quelque peu avec la saveur du travail réel par lequel se construit l’homme. L’impact du Chabbat sur la relation de l’homme au travail n’est jamais égal ; il dépend de l’investissement du sujet, de l’intensité de son adhésion. L’analyse des versets permettra de distinguer deux niveaux essentiels.

Du labeur à la saveur : le miracle du chabbat

Le commandement du Chabbat est souligné à trois reprises. Les variations quant au thème du travail sont capitales.

La première mention indique une succession chronologique entre le temps du travail et celui du repos : « Durant six jours tu travailleras et tu auras fait tout ton travail et le septième jour c’est le Chabbat pour l’Eternel ton D.ieu » (Parachat Yitro Shemot 20,9-10).

Déjà le tragique se dénoue, et la condamnation au labeur n’est pas le dernier mot de la condition humaine. Par delà le labeur cruel se dessine une ère de repos où l’homme peut pleinement renouer avec sa dignité d’antan. L’espace lumineux de la Mitsva relaie le temps difficile d’un travail vain. Pour autant, le moment du travail est encore ressenti comme pure malédiction et le bonheur du Chabbat est terni par la difficile semaine qui déjà s’annonce.

Notre Paracha introduit à partir de l’espace chabbatique une nouvelle dimension dans le rapport au travail : « Six jours durant le travail sera accompli et le septième jour sera saint pour vous » (Chemot 37,2).

Plus de trace du sujet laborieux qui s’acharne à une impitoyable besogne. On indique seulement que le travail sera accompli, comme s’il s’effectuait sans la participation ardue de l’homme. Cela sonne comme une promesse merveilleuse mais combien étrange. Le travail ne saurait se passer de travailleur !

Qu’à cela ne tienne ! Le Midrash signifie la modalité non laborieuse du travail : «Lorsque Israël se pliera à la volonté divine, son travail sera fait par les autres».

Malédiction du travail rejetée sur ceux qui refusent de renouer avec la véritable structure humaine. En tant qu’il se rattache à Adam, créature de D.ieu, Israël est libéré de l’asservissement servile. Le travail est pleinement intégré à l’espace de la Mitsva.

Ce retournement du travail relève de la catégorie de la sainteté. Sanctifier le monde c’est comprendre que tout peut être occasion d’une relation privilégiée avec D.ieu, ce que les gestes les plus anodins peuvent signifier comme témoignage de Sa présence.

La kédoucha du Chabbat se déverse dans l’espace et le temps. Elle transforme le monde en lieu de coexistence avec D.ieu. Eden enfin retrouvé !

On peut respecter le Chabbat sans sentir pleinement son parfum de sainteté. Situation minimale évoquée dans le premier texte de la Parachat Yitro . Attitude honorable certes, qui ouvre déjà un horizon nouveau mais qui n’a pas la puissance requise pour renverser la malédiction du travail. Seule la mention de la kédoucha dans le second énoncé permet de transformer le vain labeur en expérience de sainteté.

Quiconque dans son travail s’efforce à se hausser par delà la petitesse des ambitions et des passions pour retrouver toujours la volonté divine en aura fini avec la malédiction du travail. Homme libre !

Le lieu de toute sainteté

La sainteté du Chabbat, qui est appelée se déverser sur toutes choses, dépend donc de l’attitude des hommes. Il ne s’agit pas de répéter la fatale erreur d’Israël lors de la faute du veau d’or.

Veau érigé pour remplacer Moise qui manquait cruellement.

Absence vécue comme un drame comme si le lieu de la sainteté dans le monde s’était éteint.

Mais cette volonté démente de concrétiser la sainteté sur un objet montre une méconnaissance profonde de la kédoucha. Rien n’est saint (kadoch) en soi sauf D.ieu. Seul Sa présence sanctifie le monde. Tel le tabernacle (mikdash) sanctifié pour qu’il atteste de la présence divine. Présence retenue par les actions méritantes des hommes. Chassé par les fautes, D.ieu se retire, le tabernacle s’effondre. Titus peut rentrer avec une prostituée dans le saint des saints et n’être point blessé (cf. Guittin 56b) car la sainteté est partie.

Les tables de la loi sont écrites par la main divine. Pour autant elles n’ont aucune sainteté propre. Leur noblesse est fonction du comportement d’Israël. Lorsque le peuple fautera, elles s’effriteront comme de vulgaires débris d’argiles.

Aucun lieu, aucun moment aucune position ne sont assurés ! Tout dépend à chaque moment de l’attitude des hommes.

La sainteté grâce au comportement humain

Dans la paracha Tetsavé, les commentateurs nous expliquent que le Hochen était éclairé par la Chehina, la présence divine. Aaron méritait le port du ‘Hochen, rapportent les commentateurs, grâce à la réjouissance qu’il a eue lorsqu’il a vu son frère Moise comme le verset le dit : « Déjà même il vient à ta rencontre, et à ta vue, il se réjouira dans son cœur . » (Exode 4 ; 14).

La sainteté de la présence divine éclairait le Hochen, mais cette sainteté ne provenait que du bon cœur d’Aaron. C’est en cela qu’ « Aaron portera sur son cœur, lorsqu’il entrera dans le sanctuaire, les noms des enfants d’Israël, inscrits sur le pectoral du jugement, commémoration perpétuelle devant le Seigneur. » (Exode 28 ; 29)

La volonté de donner

Nous voudrions proposer une autre perspective pour entendre l’étrange proposition d’un travail qui s’auto-accomplit.

On raconte du Hafetz Haïm qu’il avait passé toute une soirée de Kippour à consoler un pauvre homme désespéré. Cela ne pouvait-il pas attendre le lendemain soir ? Comment celui pour qui chaque minute comptait, pouvait-il se résoudre à gaspiller les moments les plus précieux de l’année ?

C’est qu’au summum de la sainteté, le soir de Kippour, après quarante jours de préparation intense, le Hafetz Haïm ressent le besoin de donner. D.ieu se révèle aux hommes comme le plus merveilleux mécène.

Il ne répond pas seulement aux besoins des hommes, il les suscite. Il offre la vie. Se faire l’image de D.ieu c’est savoir donner. Plus il y a de Kedoucha, plus il y a un besoin de donner.

L’homme imprégné de sainteté ressent le besoin de donner. Des lors le travail n’apparaît plus comme un fardeau insupportable mais comme l’occasion unique d’œuvrer pour les autres. L’homme peine, mais le travail ne pèse pas comme une charge. Il n’est pas ressentit comme un labeur mais comme l’ultime dignité de l’humain.

Chabat Chalom


Chabbat, le sanctuaire du temps

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Notre paracha met en relief le lien étroit qui unit Chabbat avec le sanctuaire. L’occasion de remonter le temps et de revenir, pour un moment, à l’état idéal d’Adam et Eve au Gan Eden…

Au lendemain de Yom Kippour, Moïse redescend de la montagne de Sinaï après avoir obtenu le pardon divin pour la faute du veau d’or.

Il rassemble alors toute la communauté d’Israël pour leur transmettre l’ordre de D.ieu de construire un sanctuaire.

Cependant, il réitère d’abord le commandement de respecter les lois du Chabbat.

Nous allons découvrir, à travers les enseignements de nos maîtres, le lien étroit et profond qui unit Chabbat et le sanctuaire.

« Moïse fit assembler toute la communauté des enfants d’Israël et leur dit : ‘ Voici les choses que l’Eternel a ordonné d’accomplir.

Pendant six jours, on se livrera au travail, mais au septième jour, vous aurez une solennité sainte, repos complet en l’honneur de l’Eternel ; quiconque y accomplira un travail mourra.’ »(Exode 35 ; 1-2)

Rachi (ibid.), citant la méhilta, explique : « On a mis l’interdiction (du travail) le Chabbat avant le commandement concernant le travail du Tabernacle, pour dire que ce dernier ne repousse pas (dans le sens de « ne supprime pas ») le Chabbat. »

Ce qui signifie que même la construction du sanctuaire est interdite le Chabbat, malgré son caractère purement spirituel.

Le Talmud ajoute : « Rabbi (diminutif de Rabbi Yéhouda Hanassi) dit : ‘le terme employé Elé hadevarim (voici les choses) est une allusion aux nombres de travaux interdits le chabbat (39).

Devarim (les choses) étant au pluriel, exprime le chiffre 2. L’adjectif ha (devant Devarim) ajoute un troisième travail. Enfin, le mot élé (voici) a une valeur numérique (guématria) de 36. Cela fait au total 39 travaux interdits le Chabbat.’ » (Chabbat 70a)

Le Talmud précise par ailleurs que les 39 travaux interdits sont ceux-là mêmes qui étaient effectués lors de la construction du sanctuaire. Cela est déduit de la proximité de ces deux concepts (chabbat et le sanctuaire), dans notre paracha. (Chabbat 49b)

On le voit, la Thora a lié ces deux éléments. Cela n’est certainement pas fortuit. Mais quelle relation peut-il y avoir entre ces deux notions ?

Dévoilement…

Pour commencer il est intéressant de citer un texte du Midrach qui précise le rapport entre Chabbat et le rassemblement par Moïse de la communauté d’Israël.

« Nos maîtres nous font remarquer que dans toute la Thora, il n’y a aucune paracha qui commence par un rassemblement général de tout le peuple juif, exceptée notre paracha, Vayakhel.

D.ieu dit à Moïse : « Organise de grandes réunions publiques et enseigne leur le lois du Chabbat, afin que les générations à venir prennent exemple sur toi et réunissent, à leur tour, chaque Chabbat, le public dans les lieux d’étude pour leur enseigner ce qui est permis et ce qui est interdit…

Moïse dit à Israël : ‘Si vous agissez selon ce programme, D.ieu considérera que vous l’avez déclaré Roi sur tout l’univers.’ » (Yalkouth Chimoni ibid.)

Rabbi Haïm Friedländer zatsal, dans son ouvrage Sifté Haïm (volume 3, p.406), va nous faire découvrir une nouvelle optique, qui met en lumière le lien entre Chabbat et le sanctuaire.

Grâce à cet éclaircissement, nous pourrons également comprendre en quoi le Chabbat est la clé pour reconnaître D.ieu comme roi de tout l’univers.

Il cite d’abord un texte du Zohar qui établit une relation entre les 39 travaux interdit Chabbat, les 39 coups administrés comme châtiment à celui qui transgresse une interdiction de la Thora, et les 39 malédictions adressées à Adam, Eve, le serpent et la terre après la faute d'Adam (Tikouné Zohar ; Tikoun 48 ; 96).

Pourquoi ces trois notions sont-elles liées ?

Pour le comprendre, nous devons d’abord revenir aux différents stades de la création, et notamment celui qui précède la faute d’Adam et celui qui va suivre cette faute.

Le Ram’hal développe ce sujet dans Daat Tevounoth (chapitre 126) :

Avant la faute, Adam et Eve se trouvaient à un tel niveau de spiritualité, que même leurs actes les plus matériels étaient élevés à un degré de sainteté (Kedoucha), touchant la perfection.

Le Bien et le Mal

Aucune autre pensée que celle d’accomplir la volonté divine n’effleurait leur esprit.

Ainsi, on comprend qu’ils ne ressentaient aucune gêne ou honte devant leur nudité, car à leurs yeux, toutes les parties du corps étaient des outils pour accomplir la volonté du Créateur, et étaient donc empreintes de sainteté.

Après la faute, un changement radical eut lieu.

Le Bien et le Mal devinrent étroitement mêlés.

L’action humaine fut conditionnée, et cela pour toujours, par d’autres facteurs, étrangers à la volonté divine.

Par la nature des intentions qui l’a entraîné, un acte, le meilleur soit-il, pourra très difficilement atteindre la pureté absolue.

Le juste (tsadik) ne pourra désormais plus atteindre la perfection (chlémout).

Même s’il n’a jamais commis d’actes répréhensibles, il est presque impossible que tout au long de sa vie, ses bonnes actions soient toujours parfaites.

En effet, même dans le meilleur de ses actes, peuvent exister des intentions subtilement étrangères à la seule volonté de D.ieu.

C’est ce que le verset exprime : « Il n’est pas d’homme juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir. » (Ecclésiaste 7, 20)(Nefesh Hahaïm de Rabbi Haïm de Volozhine 1 ; 6).

Ainsi, les mots par lesquels D.ieu annonce son châtiment à Adam prennent un sens très particulier :

« Et à l’homme, Il dit : ‘Parce que tu as cédé à la voix de ton épouse, et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais enjoint de ne pas manger, maudite est la terre à cause de toi : c’est avec effort que tu en tireras ta nourriture, tant que tu vivras.

Elle produira pour toi des buissons et de l’ivraie, et tu mangeras de l’herbe des champs. C’est à la sueur de ton front que tu mangeras du pain.’ » (Genèse 3 ; 17-19)

Jusqu’à la faute, Adam se trouvait au Gan Eden, où « des anges lui grillaient la viande et lui séparaient le vin de la lie » (Talmud Sanhédrin 59b).

Derrière ces termes, se cache une idée très profonde : au Gan Eden, on séparait pour lui la partie non-comestible des aliments, ce qu’on appelle en hébreu psoleth, de la partie consommable.

La sainteté enveloppait totalement Adam et il n’avait pas besoin d’extirper le mal du bien.

Sa seule préoccupation dans ce domaine, était d’éviter d’être tenté par l’arbre de la science du Bien et du Mal.

Le serpent, qui représente la tentation et les forces du mal, était un élément extérieur à Adam. Le Mal n’était pas inné en lui.

Après la faute, le rôle de l’homme sur terre va changer.

Désormais, le Mal est introduit en lui-même et il lui faudra discerner, dans les intentions de chaque acte, le Bien et le Mal, en tentant d’extirper les intérêts personnels ou égoïstes, pour parvenir à agir, le plus possible, dans le seul but de réaliser la volonté de D.ieu.

C’est le sens des buissons et de l’ivraie que la terre va produire : les bonnes et les mauvaises herbes sont mélangées.

Mission de sainteté

Les Kabbalistes (Taamé ha mitsvoth du Ari zal, Parachat Behar) expliquent l’interdiction d’accomplir les 39 travaux pendant Chabat :

« Pendant les six jours de la semaine, l’homme doit s’efforcer d’extirper le mal et d’insuffler, à chacun de ses actes, un sens lié à la sainteté (Kedoucha).

Ce travail, c’est l’essence des 39 malédictions adressées à l’homme après la faute. Ces 39 malédictions sont en rapport direct avec les 39 travaux qui représentent les actes humains principaux : labourer, semer, …

Lorsqu’arrive Chabbat, l’homme revient au rôle initial de la création, celui d’Adam avant la faute. Il doit alors s’abstenir de tout acte étranger à la Kedoucha, de tout travail profane, pour s’investir totalement dans sa mission de sainteté.

Il lui est donc interdit d’effectuer ces mêmes 39 travaux. »

A présent, l’analogie avec le sanctuaire devient perceptible :

Pour créer l’enceinte où siégera la présence divine, il fallait utiliser des éléments matériels et les élever, par les intentions les plus pures, à un niveau de sainteté inégalé.

C’est ce qu’exprime le Midrach sur le verset : « Tu feras des solives destinées au tabernacle » (Exode 26 ; 15).

« Rabbi Avin dit : cela peut être comparé à un roi qui avait une belle apparence. Il demanda à l’un de ses serviteurs de le dessiner.

Comment pourrais-je réussir, mon roi ?

Tu utiliseras tes couleurs et ton talent, c’est tout ce que je te demande, répondit le roi.

Lorsque D.ieu dit à Moïse :

Tu verras et tu feras (le sanctuaire) (Exode 25 ; 40), Moïse, lui répondit :

Maître de ce monde, suis-je une divinité pour pouvoir réaliser cela (l’image conforme du sanctuaire des cieux) ?

Fabrique-le en azur, en pourpre et en écarlate sous la forme que tu as observée en haut, et c’est alors que J’abandonnerai mes serviteurs d’en-haut pour venir siéger parmi vous, répondit D.ieu. » (Chemot Rabba 35 ; 6)

D.ieu nous demande de lui préparer un sanctuaire où Il puisse résider en utilisant des éléments purement matériels.

C’est ainsi que le règne divin deviendra effectif, et qu’il agira sur les actes humains, les élevant au plus haut niveau possible.

Concrétisation sublime

Pendant les six jours de la semaine, l’homme doit introduire la sainteté dans ses actes, dans le cadre de l’action et du travail. Et il doit pour cela extirper toutes les intentions mauvaises qui peuvent s’y mêlées.

La concrétisation la plus sublime de cette idée fut la fabrication du sanctuaire, effectuée par le biais des 39 travaux.

Ce sont les intentions de ceux qui vont le fabriquer qui vont élever les 39 travaux basés sur des éléments matériels, à un niveau tel que cette construction va hisser le monde physique au summum de la sainteté, celle de la présence divine (Hachraat Hachehina).

En revanche, le jour du chabbat, l’homme découvre un nouveau système où la sainteté règne déjà au départ.

En s’abstenant des 39 travaux, on découvre la teneur véritable de cette Kedoucha : cette sainteté, qui imprègne ce jour est décrite par nos maîtres comme étant un soixantième du monde futur (olam Haba). Cela est désigné comme méein olam Haba : un aperçu du monde futur (Talmud Bera’hot 57b).

Des actes matériels, comme l’action de boire ou de manger, peuvent atteindre un niveau de Kedoucha, inaccessible pendant les jours de la semaine.

Là se trouve le sens du concept de nechama yétéra, l’âme supplémentaire qui s’installe chez les Juifs le jour de Chabat (Talmud Beitsa 16a).

Rachi (ibid.) explique : le cœur devient prédisposé au repos, à la joie et à l’ouverture. Il pourra manger et boire plus que son habitude sans éprouver de gêne.

En quoi le fait de pouvoir manger plus est-il une marque de l’élévation de l’âme ?

Pendant les jours de la semaine, la nourriture peut amener l’homme à trop s’investir dans le monde matériel.

Chabbat par contre, sa nechama yétéra lui permet d’élever le matériel à la sainteté (Kedoucha).

Ce que le sanctuaire apporte, le chabbat l’offre sous une autre forme.

Dans le sanctuaire, les éléments matériels sont sanctifiés.

Chabat élève les actes matériels au niveau du spirituel.

La mitsva de oneg chabbat (agrémenter le chabbat par une nourriture spéciale et des vêtements de fête) doit être comprise dans ce sens : celui d’élever les actes matériels à la sainteté.

Un élément nouveau

L’Admour d’Ozrov zatsal, dans son ouvrage Béer Moché (ibid.), interprète dans le même sens le rapport entre chabbat et le sanctuaire, en y apportant cependant un élément nouveau.

La Thora a déjà mentionné à plusieurs reprises (Décalogue Exode 20 ; 8-10) et dans la paracha Ki Tissa Exode 31 ; 12-17) l’interdiction de faire des travaux le chabbat.

Mais alors, pourquoi attend-elle notre paracha pour nous informer qu’il s’agir de 39 travaux, par l’utilisation du terme élé hadevarim ?

Pour répondre à cette question, il cite le Méor Enaïm (ibid.) :

« La création, à son origine, était telle que l’homme n’avait aucun travail à accomplir si ce n’est celui de servir son Créateur. Tel sera aussi le monde futur.

C’est la faute d’Adam qui entraîné les 39 malédictions, et c’est cette faute qui va contraindre l’homme à effectuer 39 travaux pour sa subsistance.

Le Chabbat est un aperçu du monde futur. C’est la raison pour laquelle il faut s’abstenir de faire ces mêmes 39 travaux. »

Un goût de paradis

Lors de la révélation au Mont Sinaï, le peuple juif a atteint, à nouveau, le niveau d’Adam avant la faute (Talmud Chabbat 146a - Psaumes 82 ; 6 - Rachi ibid.).

Il est donc revenu à l’état initial où tout était préparé pour lui. Il n’a donc plus de lien avec le concept des 39 travaux.

L’interdiction devient d’ordre général.

C’est seulement après la faute du veau d’or que le peuple d’Israël revient à son niveau antérieur. C’est à nouveau à travers les 39 travaux que l’on parviendra à la sainteté.

Alors intervient l’ordre divin qui interdit ces travaux le chabbat, méein olam haba.

On le voit, Chabbat n’est pas une institution d’ordre social et l’interdiction de faire certains travaux n’est pas un moyen d’obliger au repos et à la détente.

Le créateur a offert au peuple juif un goût du monde futur, pour l’élever à un degré de sainteté inaccessible pendant la semaine.

On comprend à présent les mots du Yalkouth Chimoni quand il dit : « Si vous agissez selon ce programme, D.ieu considérera que vous l’avez déclaré Roi sur tout l’univers. »

Fort de ces notions, on prend conscience de l’importance de se préparer au Chabbat, et d’insuffler l’élévation morale dans chacun de ses détails.

Sinon, on risque, comme le disait Rabbi Israël Salanter, de consommer tout le Chabbat en savourant les mets traditionnels.

Et ce n’est certainement pas le but véritable de ce cadeau divin.

C’est en intériorisant les enseignements de nos maîtres, que l’on pourra aspirer de toute son âme à goûter ces moments extraordinaires où le matériel devient sainteté.

Chabbat Chalom