Chabbath Behar-Behoukotaï

19, 20 mai 2006 – 22, 23 Iyar 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies18 h 5621 h 04 21 h 12
Sortie de Chabbath 20 h 12 22 h 17 22 h 32

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine, avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth).

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora». Le quatrième volume est déjà sous presse.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Cette année, La Yéchiva Daat Haïm a accueilli une nouvelle promotion, ce qui porte le nombre de nos élèves à 140. Le corps enseignant compte désormais 16 membres.

L’aide de tous nos amis nous sera précieuse pour assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de

Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Chabbath Behar-Behoukotaï

19, 20 mai 2006 – 22, 23 Iyar 5766

L’effort plus fort que le plaisir

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Au delà des résultats, les efforts que l’on investit pour étudier la Thora et respecter la volonté divine, sont garants d’une vie pleine et heureuse…

«Rabbi José disait: ‘Que l’argent de ton prochain soit aussi précieux pour toi que le tien; prépare-toi à apprendre la Thora, car elle ne t’es pas donnée en héritage; et toutes tes actions doivent être accomplies dans une intention pure, pour la glorification du Nom divin’».

(Chapitre 2, Michna 12)

Nous avons vu dans notre Dvar Thora précédent qu’il ne faut pas compter sur une transmission ‘naturelle’ de la Thora de père en fils, tel un héritage, car cette Thora doit s’acquérir par un investissement personnel. Le Rachbats, par son interprétation, nous amenait à cette conclusion.

Nous allons à présent citer les différents commentateurs sur cette maxime, qui vont révéler d’autres aspects inclus dans les mots de Rabbi José.

Le Rachbats interprètait le mot ‘prépare-toi’ comme encourageant l’homme à s’investir personnellement dans l’étude de la Thora.

Rabbénou Bahya et le Sforno vont dans son sens, et précisent:

«Investis dans l’étude bien plus que ce que tes dispositions naturelles semblent te permettre; car tu ne vivras jamais dans ce domaine ce que vit un héritier, qui dispose d’une fortune pour laquelle il n’a pas investi d’effort.

Pour acquérir la Thora, il ne sera pas suffisant d’investir un petit effort.

Au contraire, c’est seulement par un travail acharné que tu pourras t’élever au niveau supérieur qu’est la ‘hassidout.

C’est ce que la Michna (2-5) nous enseigne:

‘ Un ignorant ne peut devenir ‘hassid ’» (Sforno ibid.)

Une anecdote, citée dans la nouvelle biographie du Rav Shah illustre parfaitement l’affirmation de Rabbi José.

Alors que Rav Shah dirigeait la Yéchiva de Loninetz (Pologne), un élève vint faire les louanges d’un homme reconnu pour sa grandeur et sa piété. Il ajouta:

«- C’est également un génie (gaon) en Thora»

Le Rav Shah lui dit:

«-Il vaut mieux dire de lui qu’il investit toutes ses forces dans l’étude de la Thora, car il faut que tu le saches: le dicton populaire affirme qu’il y a deux façons de s’enrichir. On peut travailler très dur, ou bien trouver dans la rue une fortune en pièce d’or, perdue par un propriétaire terrien (paritz, en yiddish).

La connaissance de la Thora n’est pas un objet qui peut être égaré par un paritz. Aucun paritz n’a, jusqu'à ce jour, égaré de la Thora, et le seul et unique moyen de l’acquérir et d’investir toutes ses forces dans l’étude.» («Maran Harav Shah», vol 1, p.321)

n La Thora réside dans les cœurs purs

On peut également comprendre le mot hathène dans le sens de préparation préliminaire. C’est d’ailleurs ainsi que l’interprète Maïmonide, suivi par Rabbénou Yona:

«Il s’agit de la préparation nécessaire dans le domaine du caractère (midot). En cela, il (Rabbénou Yona) rejoint son interprétation sur la Michna: «Là où il n’y a pas de morale sociale, il n’y a pas de Thora(Im ein dere’h erets, ein Thora) ». (Avoth 3-17)

Cela signifie qu’il faut au préalable perfectionner son caractère. Alors seulement, la Thora pourra se fixer en l’homme: elle ne résidera jamais au sein d’un homme qui a de mauvaises midot

Cette préparation préalable signifie aussi être prêt à renoncer aux plaisirs matériels pour pouvoir augmenter l’étude de la Thora.

C’est le sens de la Michna (Avoth 6-4):

«Voici ce qu’exige l’étude de la loi divine: quand bien même tu serais réduit à ne manger que du pain avec du sel, à mesurer jusqu’à l’eau que tu bois, à coucher sur le sol, et à t’imposer différentes privations, occupe-toi néanmoins avec zèle de l’étude sacrée car celui qui multiplie les plaisirs ne pourra pas acquérir la sagesse (‘ho’hma

(Rabbénou Yona ibid.)

Rabbi Haïm de Volozhine ajoute: «Se préparer à étudier la Thora signifie être attentif au fait que la splendeur de la Thora ne peut s’installer dans un récipient souillé par les fautes.

Celui qui aspire à devenir un savant (talmid ‘haham) soit au préalable renforcer sa crainte du pêché. Chaque jour, avant de commencer à étudier, il doit prendre conscience de ses fautes et de ses erreurs (vidouy), et quecette prise de conscience soit sincère et s’inscrive dans son cœur. Elle ne doit pas s’exprimer par des mots qui ne seraient pas totalement ressentis.»

Dans une deuxième interprétation, Rabbi ‘Haïm met l’accent sur le terme atsmeha (toi-même, dans la phrase prépare toi, toi-même, pour l’étude de la Thora).

«Ne te contente pas de soutenir financièrement ceux qui étudient la Thora, car même si tu acquiers ainsi une part dans leur étude, c’est seulement en étudiant toi-même, que dans la tombe, tes lèvres continueront à prononcer des paroles de Thora

La part acquise grâce au soutien financier de ceux qui étudient n’est pas considérée comme un héritage.Ce qui signifie que cette Thora ne se perpétuera pas de la même façon que celle que l’on étudie personnellement. » (Rouah ‘Haïm ibid.)

Abordons à présent le dernier volet de la maxime de Rabbi José.

« Toutes tes actions doivent être accomplies dans une intention pure, pour la glorification du Nom divin»

Rabbénou Yona explique : «Il s’agit même des actions comme se nourrir, avoir une vie sociale, des activités de la vie quotidienne, dormir, avoir des rapports conjugaux, discuter entre amis, répondre à tous les besoins du corps: toutes ces actions doivent être accomplies dans le but direct ou indirect de servir son Créateur.

Comment cela s’exprime-t-il dans la pratique?

Nutrition

En ce qui concerne la nutrition, il va sans dire qu’il faut s’abstenir de consommer des aliments ou des boissons interdites.

Mais alors même que la consommation est permise, et qu’elle est due à une faim et une soif réelles, ce n’est pas une action louable si l’intention principale est de faire jouir son corps et son palais.

On doit avoir comme intention principale de donner de la force et de la vigueur à son corps pour pouvoir mieux servir son Créateur.

On sait d’ailleurs, et c’est une opinion partagée par les nutritionnistes et de nombreuses sommités médicales, que la majorité des maladies ont pour origine l’excès de nourriture.

L’homme doit s’efforcer de se sustenter seulement jusqu’au moment où sa faim sera calmée. Ainsi, il évitera de nombreux problèmes et parviendra à garder son corps en pleine santé.

Il ne faut surtout pas qu’il mange seulement parce que son palais en a envie. Car le palais est tenté en permanence, jusqu’à ce que l’estomac soit totalement bondé. Cette attitude est néfaste pour le corps lui-même.

C’est ainsi que l’on doit comprendre les mots du verset:

«Le juste mange pour apaiser la faim de son âme, mais le ventre du méchant n’est jamais rassasié» (Proverbes 13-25)

L’estomac ne peut traiter qu’une quantité limitée d’aliments. Les méchants, ceux qui mangent dans le seul objectif de jouir de la vie, diminuent les facultés naturelles de digestion.

C’est bien le sens du verset, qui parle de cette sensation de non-satiété permanente du méchant, qui est à l’origine de la majorité des maux.

A l’inverse, le juste ne mange que pour apaiser sa faim, et pour donner de la force à son corps, car il est attaché à son âme qui veut accomplir la volonté de son Créateur.

Vie en société

Dans le domaine social, il faut également choisir, dans cet esprit, ses activités et les cercles dans lesquels on évolue: il faut éviter la société des railleurs et ne pas se tenir dans la voie de ceux qui aiment faire le mal. On doit bien sûr fuir les conseils des méchants (d’après le Psaume 1-1).

Même lorsque l’on fréquente des hommes droits et intègres, et que l’on suit leurs conseils, on ne doit pas le faire pour le simple plaisir d’être en bonne société, et de se sentir faire partie d’une élite, ce qui comble nos ambitions sociales. Là encore, il faut chercher la compagnie des sages pour accomplir la volonté divine.

Sommeil

Il est bien évidemment déconseillé, si l’on a la force d’étudier la Thora et d’accomplir les Mitsvot, de préférer se délasser et se laisser aller au sommeil, dans le simple but de jouir de la paresse.

Lorsqu’une personne est épuisée et dort pour reprendre des forces, elle doit rechercher en premier lieu à redonner de l’énergie à son corps, pour mieux servir D.ieu.

Il peut aussi rechercher à reposer son intelligence d’un excès d’efforts intellectuels, pour retrouver une clarté d’esprit.

Relations conjugales

Elles doivent être entretenues dans cet esprit. On en parle pas ici d’éviter les relations interdites: même lorsqu’un homme rempli ses devoirs envers son épouse, fixés dans ce domaine par le Créateur, il ne doit pas agir dans le seul et unique but de savourer des plaisirs charnels.

Plus encore, si cet homme, en dehors du fait de remplir ses devoirs envers sa femme, a comme intention de mettre au monde des enfants qui par la suite l’assisteront et l’aideront, il n’agit pas comme il se doit. Son intention doit être de faire naître des enfants qui seront eux-mêmes au service de D.ieu.

Discussion

On ne doit pas parler de choses futiles, et fuir la grossierté. Et même lorsque l’on discute de sujets sérieux, il faut que l’objectif soit de permettre une ascension spirituelle, et amener, directement ou indirectement, au service divin.»

(Rabbénou Yona ibid.- cf. Tour et Choul’han Ora’h Haïm chap.231, où sont rapportés les mots de Rabbénou Yona)

On le constate, toute notre vie, et toutes les actions de notre vie, doivent s’inscrire dans le but direct ou indirect de servir notre Créateur. La vie ne doit pas se résumer à une recherche illimitée de plaisirs.

Elle doit s’articuler autour d’une recherche spirituelle qui nous procurera, sans aucun doute, beaucoup plus de bonheur…

Chabbat Chalom


Commentaires sur la Parachat Behar – Behoukotaï

Grandeur et unité

Par le Rav Moshé Tapiero

Sept semaines séparent la naissance d’Israël (Pessah) du don de la Torah (Chavouot). Temps de maturité d’un peuple qui devenu adulte peut recevoir la Torah. La Halacha (droit hébreu) retiendra que seul l’homme majeur peut accueillir la Parole divine.

Majorité et unité

L’hébreu dit Grand (gadol) pour signifier la majorité. Grandeur qui définit la manière unitive d’organiser sa vie. Construit à partir de la racine Gad signifiant continuité, constance et permanence, la Grandeur s’oppose à la modalité d’existence de l’enfant(katan)qui n’est que brisure, discontinuité et versatilité (sens initial de la racine Kat à entendre comme l’expression de Kitiyout ou fragmentation, coupure, sectionnement).

La fragilité de l’enfance ne réside pas dans une aptitude logique limitée mais dans l’impossibilité d’une constance dans les actes, les pensées et les décisions. Rien n’est plus versatile et changeant que l’humeur d’un enfant. L’adulte impose à sa vie une constance, qui confère à ses actes la consistance de la continuité. Un acte valeureux mais isolé et sans lendemain ne compte pas dans l’existence. Combien sont risibles ces grandes décisions qui ne résistent pas à l’érosion du temps !

Etre majeur c’est savoir unifier tous les instants de sa vie en une longue expérience. Tel Abraham qui au crépuscule de sa vie se présente ‘avec tous ses jours’ s’étant préservé du désastre d’une existence éclatée.

La majorité est affaire de Daat, improprement traduit par le vocable

de raison comme si seuls comptaient l’exercice des neurones et la puissance discursive. Le Daat est signe d’unification et d’union (« Or l'homme s'était uni (Yada) à Eve sa femme »Gen 4,1).

C’est toujours sous son aspect éclaté et fragmentaire que le monde apparaît à l’homme. Il lui revient de l’unifier, de l’organiser comme on range des mots pour en faire un livre. Unification qui se réalise dans l’exister propre du sujet. Une existence unifiée permet de s’affranchir de la pluralité, de sublimer les différences en un exister unique.

Œuvre d’unification qui s’applique particulièrement au domaine de l’étude.

Unité de l’étude

« Tu les inculqueras (ve ChiNaNtam) à tes enfants et tu t'en entretiendras » (Deut.6,7)

Commentaire du midrash :

« Tu les inculqueras à tes enfants. Que les paroles de Torah soient tranchantes (Had)dans ta bouche. De telle sorte que si l'on t'interroge, tu ne balbuties (guimgoum) pas mais expliques avec clarté ». (Sifri ad. loc et Talmud Kiddouchine, 30).

Enseignement capital certes, mais quel est son rapport avec ce verset qui parle de transmission et d’enseignement. Mais s’agit-il vraiment d’une seule contrainte intellectuelle ?

Le terme Had, traduit ici par le tranchant, renvoie en premier lieu à la notion d'unité. La lame aiguë et tranchante est dite ‘une’ parce qu’elle s'assimile en quelque sorte à l’élément tranché, alors qu'un couteau épais ne peut s'identifier avec lui, restant toujours corps étranger, ce qui induit un découpage grossier. Il est donc question ici d’une convocation à l’unité dans l'étude.

Le balbutiement par contre définit une élocution coupée sans unité, sans continuité. Le vocable Guimgoum est construit sur la redondance du gam signifiant aussi, même. Balbutier, c'est prononcer un discours haché composé de bribes distinctes que n'unifie pas l'aisance de l'élocution. C'est prononcer une chose et aussi (gam) une autre sans que jamais ces deux éléments ne se fondent dans un discours cohérent. A l'unité du Had s'oppose la pluralité du guim-goum.

L'unité recherchée consiste en l'identification profonde du lecteur avec le texte étudié. Intégrer le savoir à son être, s'unifier totalement avec lui, sont les conditions indispensables pour un attachement à la Torah. L'hésitation dans l'expression, le balbutiement, sont preuve de la non-identité du sujet au texte. L'aisance de l'exposition, le discours tranchant, manifestent au contraire cette identification.

L’approche intellectuelle n’atteindra jamais cette pénétration.

Au contraire, l'analyse scientifique présuppose toujours un hiatus entre l'objet examiné et le chercheur qui observe. C'est à partir de cette distance, de ce recul face à l'objet, que l’examen est possible.

L'étude biblique se réalise, par contre, sous le mode du Daat qui, plus qu'un savoir, est union et identification. L'intégration du savoir intellectuel et son prolongement dans l'être entier réduit la distance d'un moi qui n'est plus observateur extérieur, mais qui s'identifie avec le texte. Unité qui rend possible un enseignement qui ne soit pas dissémination.

Plus que des connaissances le Maître enseigne le secret de cette union. Renouvelée par l’élève elle donnera lieu à une nouvelle approche de la Torah. Innovation du sein même de la plus pure continuité. La transmission du savoir se révèle totalement insuffisante à lier les générations. Celle–ci ne peut passer que par une identification commune à la Torah.


Commentaires sur la Parachat Behar

Une confiance absolue

Par le Rav Eliahou Elkaïm

En nous offrant le Chabbath et l’année sabbatique, D.ieu nous donne l’occasion d’accéder à une compréhension métaphysique du monde, et de ressentir une sensation unique : une confiance absolue, qui se passe de toute question…

Notre paracha commence par l’ordre divin qui concerne l’année sabbatique ( chemita), année pendant laquelle la terre d’Israël doit rester en friche.

« La terre sera soumise à un chabbat pour l’Eternel » (Lévitique 25 ; 2)

Dans son commentaire, Na’hmanide cite les mots du Sifra à ce sujet :

« ‘Chabbath pour l’Eternel’ : Au sujet du jour du chabbat, il est mentionné : ‘chabbat pour l’Eternel ‘ (Exode 20 ; 10). De même, cette expression revient au sujet de l’année sabbatique. »

Na’hmanide interprète cette analogie en établissant le rapport entre le jour du chabbat (où le Créateur s’est reposé après les six jours de la création du monde) et l’année sabbatique (qui correspond au septième millénaire, époque à laquelle, d’après la tradition, le monde reviendra à son état initial après six millénaires d’existence)

« Rav Katina dit : ‘Le monde va exister pendant six millénaires pour ensuite être détruit, comme l’exprime le prophète. « D.ieu seul sera grand en ce jour » (Isaïe 2 ; 11). Ce jour faisant allusion au septième millénaire.

Une Braïta (enseignement des Tannaïms), confirme ces paroles :

La septième année est une année sabbatique. Ainsi, sur ce modèle, la création suit le même cycle, et après six millénaires, le septième sera en chômage. C’est ainsi qu’il faut comprendre les versets des Psaumes :

« Psaume. Cantique pour le jour du chabbat » (Psaume 92 ; 1).

Ce psaume faisant référence au septième millénaire, car comme le précise un autre verset :

‘ Mille ans sont à tes yeux comme une journée’ (Psaume 90 ; 4). » (Talmud Sanhédrin 97a).

Na’hmanide conclut :

« Prête attentivement l’oreille à ce que j’ai été autorisé à dévoiler, et si tu le mérites, tu en saisira le sens profond. J’ai déjà expliqué dans le commentaire sur la Genèse (2 ; 3), que les six jours de la création contiennent en puissance la période d’existence du monde. Chacun de ces jours a un rapport direct avec le millénaire correspondant.

Le septième jour est le chabbat pour l’Eternel, car il sera entièrement consacré au dévoilement de l’unité total de D.ieu.

Il faut le savoir : le concept des jours renvoie à ce qui a été créé pendant la genèse. Celui des années à ce qui va se produire durant la période de l’existence du monde. »

Un jour pour mille ans

C’est ainsi que Na’hmanide comprend les mots de la Genèse :

« D.ieu bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu’en ce jour, il se reposa de l’œuvre qu’il avait produite et organisée (acher bara Elokim laassoth) » (Genèse 2 ; 3).

« Produite et organisée » semble être une répétition.

Mais dans la mesure où la Thora ne peut se répéter, Na’hmanide comprend que la Thora nous présente ici un deuxième aspect de la création.

De cette répétition, il comprend que les six jours de la création contiennent les six millénaires d’existence du monde, chaque jour correspondant à un millénaire.

Ainsi, le septième jour, celui de chabbath, correspond au septième millénaire. Mais on le sait, la Thora n’est pas un livre d’histoire, ni un manuel scientifique.

Ce qu’elle nous transmet à pour but de nous faire intérioriser les notions qui vont nous rapprocher de D.ieu.

Les lois de chabbath et de l’année sabbatique viennent fixer en nous la foi absolue en deux concepts : celui de la création du monde par D.ieu, et celui de l’existence du monde futur.

Exilé de sa terre

Na’hmanide conclut : C’est la raison pour laquelle la Thora est très sévère envers ceux qui transgressent les lois de l’année sabbatique ( chemita). Si le peuple juif ne respecte pas ces lois, il sera exilé de sa terre (Lévitique 26 ; 34), car celui qui n’accepte pas cette mitsva renie la création de notre monde par D.ieu, et renie l’existence du monde futur. »

Nous allons tenter de comprendre en quoi respecter chabbath et la chemita renforce notre foi dans la création de l’univers par D.ieu et dans le monde futur.

Les mots du Décalogue vont nous y aider.

« Durant six jours, tu travailleras et achèvera toute ta tâche, mais le septième jour est la trêve de l’Eternel ton D.ieu » (Exode 20 ; 9-10).

Pourquoi le repos du chabbat serait-il lié à l’achèvement de toute notre tâche ? En outre, cet achèvement est inconcevable…

Rachi (ibid.) cite la Méhilta qui interprète ce verset de la façon suivante :

« Lorsque le chabbath arrive, considère que toute ta tâche a été achevée, et ne garde pas à l’esprit ce qu’il te reste à faire.

Le Rav E.Dessler zatsal, nous offre une piste pour comprendre la profondeur de cette idée.

Ce qui est demandé à l’homme, c’est de prendre conscience que ce ne sont pas son travail et ses efforts qui sont l’origine véritable de ses réussites.

Nos efforts, appelés hichtadlouth dans le langage de nos maîtres sont exigés après la faute d’Adam et d’Eve, à la suite de laquelle il a été décrété : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain » (Genèse 3 ; 19).

Mais ils ne sont qu’un moyen pour obtenir ce que D.ieu a décidé de toute façon de nous accorder.

Sans avoir compris ce fonctionnement, l’homme ne pourra en aucun cas accomplir l’ordre qui lui a été donné de considérer que toute la tâche a été achevée, car effectivement, à priori, le travail de l’homme n’est jamais terminé, mais seulement interrompu.

En revanche, l’effort s’il a été fait dans cet esprit, connaît une limite, une fin.

D.ieu juge et décide

Ce que la Thora nous demande, c’est d’intérioriser cette conviction profonde : nos efforts ne sont qu’un moyen, et ce ne sont pas eux qui entraînent la réussite d’une entreprise. C’est seulement la volonté divine.

Dans cette optique, on peut s’arrêter au milieu d’une action, et considérer qu’elle est terminée, puisque cette action consiste à fournir un effort, et non à parvenir au résultat concret. C’est D.ieu seul qui ensuite juge et décide.

Le Sforno exprime également cette idée dans son commentaire sur le verset :

« Pense au jour du chabbath pour le sanctifier » (Exode 20 ; 8).

Le célèbre commentateur s’adresse à nous et traduit la pensée de la Thora :

« Garde toujours à l’esprit la notion du chabbath pendant les jours de la semaine, c’est ainsi que tu agiras concrètement pour le sanctifier.

Organise tes affaires pour que tu puisses les oublier pendant chabbath. Pendant la semaine, tu t’occuperas de ce qui est passager et tu réaliseras que ce travail est un travail d’esclave, puisqu’il est lié à un monde qui ne t’appartient pas vraiment.

Achève donc ton labeur : cela est possible si tu fournis seulement les efforts minimaux, ceux qui sont indispensables à celui qui se suffit de ce que D.ieu lui accorde » (Sforno ibid.).

Nous retrouvons une approche similaire en ce qui concerne les lois de la chemita :

« Exécutez mes édits, observez et pratiquez mes lois ( il s’agit des lois de la chemita et du jubilé - Rachi ibid.) et vous demeurerez dans le pays en sécurité. La terre donnera ses fruits dont vous mangerez à satiété, et vous y résiderez en toute quiétude.

Mais si vous dites : ‘Qu’aurons-nous à manger la septième année, puisque nous ne pouvons ni semer, ni rentrer nos récoltes ?’, Je vous octroierai ma bénédiction dans la sixième année, à tel point qu’elle produira la récolte de trois années » (Lévitique 25 ; 18 ; 21).

Rachi (ibid.) interprète l’expression ‘vous mangerez à satiété’ ainsi : même une très petite quantité de nourriture aura la capacité de rassasier.

Le Sforno précise encore :

« Les fruits de la terre auront une valeur nutritive similaire à la manne, dont une petite quantité, identique pour tous (le omer), suffisait à nourrir et rassasier chacun, du bébé à l’homme adulte !

« On mangera peu, mais cette nourriture sera bénie. C’est ainsi que les fruits de la terre de la sixième année seront suffisants pour la septième aussi. »

Mais alors, une question se pose.

Si la quantité n’a rien à voir avec la qualité nutritive, et que même peu de nourriture rassasiera celui qui garde la chemita, pourquoi D.ieu précise-t-Il que la récolte se multipliera par trois (« … à tel point qu’elle produira la récolte de trois années »), introduisant l’idée que c’est la profusion qui permet de se nourrir ?

Une vérité universelle

Dans son style concis, le Sforno répond à cette question (cf. Malbim).

Ici, D.ieu agit avec nous en fonction de notre propre attitude.

Car la chemita est aussi l’occasion de renforcer en nous l’idée et la conviction que notre action n’est pas l’élément réel qui permet le résultat.

L’année de chemita vient nous montrer que les mêmes résultats matériels peuvent être obtenus sans aucun travail de notre part, à partir du moment où D.ieu en a décidé ainsi.

Et si notre conviction est sans faille, notre foi en la toute-puissance de D.ieu inébranlable, nous ne ressentirons aucune angoisse, et nous ne poserons aucune question à D.ieu sur le dénouement de cette situation.

Alors le phénomène se manifestera de façon éclatante : la valeur nutritive des aliments augmentera suffisamment pour que la récolte d’une seule année suffise pour deux.

Si toutefois nous n’avons pas atteint ce niveau élevé de foi en D.ieu, et que malgré notre envie d’accomplir cette mitsva, nous ressentons une angoisse, nous risquons d’être amenés à exprimer cette angoisse par une question à D.ieu :

« Mais si vous dites : ‘Qu’aurons-nous à manger la septième année, puisque nous ne pouvons ni semer, ni rentrer nos récoltes ?’ »

Alors D.ieu nous rassure : « Je vous octroierai Ma bénédiction ».

Le Créateur agit avec nous en fonction de notre niveau.

Face à une foi moins forte, à un doute quand à la capacité de D.ieu pour qui tout est possible, Il va utiliser un moyen plus naturel pour réaliser Sa promesse de nous sustenter malgré la chemita.

La récolte de la sixième année sera trois fois plus importante qu’à l’habituée, ce qui est une forme moins miraculeuse que celle citée plus haut.

En outre, trois fois plus de récolte signifient trois fois plus de travail de moisson, de stockage, de conservation…

Celui qui n’a aucun doute et qui accomplit l’ordre de D.ieu dans la certitude de Sa toute-puissance mérite une bénédiction divine qui ne lui cause aucun travail, ni aucune dépense supplémentaire !

On le voit, les deux chabbath, celui qui vient clôturer les sept jours de la semaine et celui qui clôt les six années de travail de la terre, n’ont qu’un seul but commun : nous imprégner d’une vérité universelle.

C’est le Maître du monde qui décide du résultat de nos efforts et de nos actions. Le but atteint ne tient qu’à Sa seule volonté.

Ce n’est qu’en étant pénétré de cette vérité que nous pourrons jouir pleinement de la sainteté de chabbath et de l’année sabbatique, et de la bénédiction qui l’accompagne, à l’instar de celui qui n’a aucun doute envers la toute-puissance de D.ieu.