Chabbath Parachat Vayehi

14 janvier 2006 – 14 téveth 5766

Jérusalem Montréal Paris
Allumage des bougies16 h 15 16 h 16 17 h 00
Sortie de Chabbath 17 h 35 17 h 24 18 h 12

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth) consacré au mariage de

JOHANNA ATTIAS & STEPHANE LIWAREK

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora» et le quatrième volume est déjà sous presse.

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde, via Internet.

Cette année, nous avons accueilli la nouvelle promotion, ce qui accroît le nombre des élèves de la Yéchiva à 140. Le corps enseignant compte dorénavant 16 membres.

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est écrit pour la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm,

‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov .

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Le bonheurest là…

Ouvrez les yeux!

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Par une phrase de quelques mots, Rabbi Eliézer nous permet de découvrir le bonheur, ainsi que l’unique moyen d’être bon envers les autres. Et tout commence par un regard…

«Il leur dit: ‘Sortez et voyez quel est le droit chemin auquel l’homme doit s’attacher’. Rabbi Eliézer disait: ‘un bon œil’; Rabbi Josué disait: ‘un bon compagnon’; Rabbi José disait: ‘un bon voisin’; Rabbi Siméon disait: ‘prévoir l’avenir’ Rabbi Eléazar disait: ‘un bon cœur’. Il leur dit: ‘Je préfère les paroles de Rabbi Eléazar car elles englobent les vôtres’.»

(Chapitre 2, Michna 9)

Dans le Dvar Thora précédent, nous avons tenté de définir la question de Rabban Yo’hanan et nous avons découvert que cette question contenait un début de réponse.

Par le choix d’un mot particulier (s’attacher) le maître nous révélait une règle de base pour progresser dans le travail sur soi: il faut s’attacher à une qualité et tenter d’en atteindre la perfection.

C’est seulement ainsi que l’on pourra espérer atteindre la plénitude dans tous les domaines.

Cette semaine, nous allons nous pencher sur la réponse de Rabbi Eliézer, qui désigne la qualité qui consiste à porter un regard bienveillant (ayin tova) comme étant celle à laquelle on doit s’attacher particulièrement pour se hisser au plus haut niveau.

Mais quelle est la signification de cette expression?

La majorité des commentateurs (Richonim) suit l’interprétation de Rachi et Maïmonide.

Ces derniers estiment qu’il s’agit de la qualité qui consiste à apprécier ce qui nous a été donné, de se satisfaire de son sort.

Rachi ajoute que cela implique de ne pas éprouver de jalousie envers celui qui bénéficie de "plus que nous".

Les disciples d’Abraham

Rabbénou Yona, pour sa part, cite d’abord l’interprétation de Maïmonide:

«Ayin tova: c’est celui qui est saméa’h be’helko (littéralement: qui est heureux de sa part)» (cf. Avoth 4-1)

Il offre ensuite une autre interprétation:

«Ayin tova est la générosité (nédivouth), qui est une vertu extraordinaire.

En effet, après avoir atteint le niveau le plus élevé de la générosité, il sera possible, et même aisé, d’accéder à toutes les autres vertus.

C’est un cœur large et un bon œil qui permettent d’acquérir cette qualité. Un homme qui s’est hissé à ce niveau est capable d’accéder à toutes les vertus (middoth tovoth).»

(Rabbénou Yona ibid.)

Le Gaon de Vilna semble abonder dans le sens de Rabbénou Yona, car il cite un verset dans les Proverbes (22-9):

«Celui qui a un bon œil sera béni, car il partage son pain avec le pauvre»

Il s’agirait donc de la générosité.

Une Michna dans le cinquième chapitre de Avoth (5-19) semble également confirmer l’avis de Rabbénou Yona.

«Celui qui possède les trois qualités suivantes fait partie des disciples d’Abraham le patriarche: (…) Un œil bienveillant, l’humilité et l’abnégation.»

On le sait, la vertu qui caractérise particulièrement Abraham est celle de la bonté (‘hessed), une bonté sans limite envers les autres, qui est exprimé dans de nombreux textes dans la Thora écrite et orale.

Il semblerait donc que ce soit l’expression ‘un œil bienveillant’ qui exprime cette bonté, ce regard positif sur les autres étant à l’origine d’une générosité sans bornes.

Cela confirme donc l’approche de Rabbénou Yona.

Pourtant, sur cette même Michna concernant les disciples d’Abraham, Maïmonide, poursuit son idée, lui qui interprète ‘un œil bienveillant’ comme étant la vertu qui consiste à être heureux de son sort:

«Nous avons déjà, à maintes reprises, expliqué qu’un œil bienveillant signifie la histapkouth (se satisfaire de son lot)». (Maïmonide ibid.)

Mais alors, comment comprendre que la vertu de bonté (‘hessed) ne figure pas dans l’énumération des qualités d’Abraham, alors qu’elle était le fondement de sa personnalité? Et comment comprendre également que la vertu de histapkouth (se satisfaire de son lot)figure en tête de ses qualités?

Pour comprendre cette apparente contradiction, il faut entrer profondément dans l’idée de Maïmonide qui voit dans les mots de Rabban Yo’hanan un principe fondamental de la psychologie humaine.

D’après Maïmonide, c’est en ayant, au départ, un regard bienveillant que l’on peut agir ensuite pour que les autres puissent jouir de tous les bienfaits du monde.

Car pour ressentir une joie profonde lorsque cela se réalise, il faut, au préalable, s’être habitué à se réjouir de son propre sort, ce qui permet de ne ressentir aucune jalousie.

Sans cela, on ne peut en aucun cas atteindre la vraie bonté (‘hessed). La Michna a donc choisi l’élément qui était à l’origine de la qualité de bonté d’Abraham.

Heureux!

Mais attention, être satisfait de sa vie ne signifie certainement pas accepter son sort, par fatalisme,en se raisonnant, et en se disant qu’il faut prendre les choses ainsi pour ne pas tomber dans le piège de la jalousie.

Etre heureux de son sort, tel qu’il est définit par le concept d’un œil bienveillant (ayin tova) c’est comprendre et ressentir que tout ce que nous possédons vient directement de la main de D.ieu et en éprouver une reconnaissance et une satisfaction immenses.

Celui qui réfléchit de cette façon voit d’un œil bienveillant les bienfaits du Créateur à son égard.

Etant persuadé que rien ne lui revient de droit, il jouit à chaque instant des prodigalités du Créateur, à l’image du Créateur.

Alors, il lui sera facile de vouloir apporter à son prochain le bonheur dont lui-même bénéficie et la sensation de plénitude, cette sensation de ne manquer de rien, que lui-même ressent.

Le parcours et la réflexion d’Abraham, qui l’ont amené au plus haut niveau de bonté, a débuté par une méditation sur la bonté du Créateur à son égard.

Cette méditation fut d’une telle intensité qu’il a pu apprécier au plus haut point sa vie, et atteindre le plus haut niveau de histapkouth (se satisfaire de son lot).

Il n’avait plus aucune exigence personnelle, et n’avait plus qu’une recherche: offrir aux autres sa bonté sans limite.

Les deux interprétations de Maïmonide et de Rabbénou Yona sont donc les deux aspects d’une même démarche: seul un œil bienveillant sur les bienfaits de D.ieu (ce qui entraîne la réelle histapkouth: être heureux de son sort) et sur les autres, permet de faire le Bien, dans le seul but de voir les autres ressentir la même joie que nous.

La générosité dont parle Rabbénou Yona ne se limite évidemment pas à la volonté de donner à l’autre, pour être celui qui donne et non celui qui reçoit, ou encore pour s’approprier l’autre. Mobiles fréquents et souvent inconscients.

Il s’agit ici d’une générosité qui trouve son origine seulement dans une volonté de combler l’autre, volonté mue par un œil bienveillant.

(cf. Malarial- Netivot Olam, netiv ayin tov, chap.1)

L’apothéose de la bonté?

Il est intéressant de remarquer que le Gaon de Vilna, qui cite pour expliquer notre Michna un verset où le concept de ayin tova (œil bienveillant) est utilisé dans le sens de générosité, choisit plus tard, en référence à la Michna du chapitre 5 où l’on parle aussi de ayin tova, un verset qui concerne la histapkout (capacité d’être satisfait) d’Abraham, au moment où le patriarche a libéré Loth et vaincu les quatre rois.

A cet instant, le roi de Sodome vient à sa rencontre et lui dit:

«Donne-moi les personnes, et garde pour toi les biens.» Abraham lui répond:

«Je lève la main devant l’Eternel (…) et je jure que fut-ce un fil, fut-ce la courroie d’une sandale, je ne prendrai rien de ce qui est à toi; et que tu ne dises: ‘C’est moi qui ait enrichi Abraham’.» (Genèse 14; 21-22-23)

Comment comprendre ces deux choix apparemment opposés?

On le voit encore une fois, c’est en se contentant de ce que lui donne le Créateur qu’Abraham a pu parvenir à l’apothéose de la bonté, comme cela est exprimé à tant de reprises dans la Thora.

Nous citerons en conclusion les mots de Rabbénou Yona dans son ouvrage Chaaré techouva.

Il découvre, dans l’étude d’un verset, que c’est un commandement de la Thora d’ancrer en nous cette vertu:

«(…) Tu n’endurciras point ton cœur, ni ne fermera ta main à ton frère nécessiteux. Ouvre-lui plutôt ta main!

Il faut donner au pauvre, et lui donner sans que ton cœur ne le refuse»

(Deutéronome 15; 7-10)

Rabbénou Yona remarque que dans le premier verset, on conseille d’abord une approche spirituelle et ensuite un acte, alors que dans le deuxième, l’ordre est inversé et l’on conseille d’abord une action, et ensuite, une aptitude de l’esprit.

Rabbénou Yona développe: «La Thora nous met en garde ici et nous demande d’éloigner notre âme de la cupidité et d’extirper de nous l’œil malveillant, pour nous efforcer d’avoir un regard positif, comme l’exprime le verset:

«Celui qui a un bon œil sera béni» (Proverbes 22-9).

Il ne suffit pas de donner, il faut enraciner en nos âmes la vertu de générosité.

C’est la raison pour laquelle l’ordre dans le verset a été inversé et que la Thora nous précise:

‘Donne et écarte de ton cœur toute expression d’un regard malveillant sur le monde’»

(Chaaré techouva 3-35)

Pour atteindre cette vertu fondamentale, nous avons à travailler sur deux pôles parallèles.

  • Donner: ce qui permettra d’éveiller en nous ce principe et nous permettra aussi de découvrir le bonheur que cette action procure.
  • Développer un regard bienveillant: en nous éduquant à percevoir dans tout ce que nous recevons de la vie, l’expression de la bonté de D.ieu. une bonté que nous ne méritons pas forcément et qui nous est accordée selon nos véritables besoins. Cette prise de conscience nous apportera la sérénité, emplis de joie et de reconnaissance envers le Créateur. Elle nous permettra également d’éveiller en nous la volonté de rentre l’autre heureux.

On le voit, par une réponse très concise ‘un bon œil’, Rabbi Eliezer nous fait découvrir un aspect fondamental de la psychologie, et une direction pour ancrer en nous un vrai regard bienveillant.

Chabbath Chalom