Chabbath Emor

14 mai avril 2005 – 5 Iyar 5765

JERUSALEM MONTREAL PARIS

JérusalemMontréalParis
Allumage des bougies18 h 5219 h 5721 h 03
Sortie de Chabbath20 h 09 21 h 0922 h 22

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le Dvar Thora de cette semaine avec lequel nous poursuivons le deuxième chapitre des «Maximes des pères» (Pirké Avoth).

Les commentaires sur le premier chapitre ont fait l’objet d’un livre, le troisième volume de notre série «Dvar Thora».

Dans le but de diffuser encore et toujours le message éternel de la Thora, nous envoyons ce Dvar Thora à des milliers de personnes francophones dans le monde via Internet.

Comme nous vous l’avons déjà annoncé, la YéchivaDaat ‘Haïm est désormais installée dans de nouveaux locaux, situés face au Mont Herzl à l’entrée de Bayit Vegan, 1, Rehov Hapisga, à Jérusalem (bâtiment Yad Harav Herzog où depuis 40 ans se succèdent les prestigieux commentateurs et chercheurs des 28 tomes de l'Encyclopédie Talmudique et de divers commentaires du Talmud)

Nous comptons sur l’aide de tous nos amis pour pouvoir assumer ce nouveau "challenge" qui permettra à la Yéchiva de poursuivre son essor.

Ce Dvar Thora est consacré à la guérison (refoua chelema) du fils de Rav Eliahou Elkaïm, ‘Haïm Yéhouda ben Mazaltov.

Ici, à Jérusalem, ville éternelle, symbole de la pérennité du peuple juif, nous prions et agissons pour la Délivrance et la paix.

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Le vrai humanisme

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Les maximes des Pères nous enseignent cette semaine une leçon de vie, pour un plus grand respect de l’autre. Comme toujours, nos maîtres connaissent la mesure de toute chose et fixent les limites de ce respect. Ils nous ouvrent la voie d’un vrai humanisme.

Il disait: «Fais Sa volonté comme ta volonté, afin qu’Il fasse ta volonté comme Sa volonté; efface ta volonté devant Sa volonté, afin qu’Il efface la volonté des autres devant la tienne. Hillel disait: «Ne te sépare pas de la communauté, ne sois pas sûr de toi jusqu’au jour de ta mort, ne juge pas ton prochain avant de t’être trouvé à sa place, ne dis pas une chose qu’il est impossible d’entendre (en supposant) qu’elle finira par être entendue, ne dis pas: ‘j’étudierai quand j’en aurai le temps’, peut-être en auras-tu jamais le temps.»

(Chapitre 2, Michna 3)

«Ne juge pas ton prochain avant de t’être trouvé à sa place, ne dis pas une chose qu’il est impossible de comprendre (en supposant) qu’elle finira par être comprise »

Pour commencer notre étude de cette partie de la maxime de Hillel, on remarquera d’emblée l’analogie avec celle de Josué ben Péra’hia (chapitre 1, Michna 6): «Juge tout homme favorablement».

Quel est donc l’élément nouveau apporté par Hillel?

On distinguera d’abord une première différence: alors que Josué ben Péra’hia choisit la forme positive (‘juge tout homme favorablement’), Hillel quant à lui préfère la forme négative (‘ne juge pas ton prochain’).

En outre, dans le premier chapitre, il est question de tout homme (kol haadam) alors que dans notre Michna, on parle de ‘ton prochain’ (‘havéré’ha).

Ces différences ne sont certainement pas fortuites.

Pour bien comprendre ces principes, il nous faut d’abord rappeler les modalités fixées sur la règle de Josué ben Péra’hia par Rabénou Yona (cf. Dvar Thora 5764 p.159).

  • On jugera positivement une personne dont on ignore tout sur le plan moral, même si les circonstances portent à penser que son action est mauvaise.
  • On jugera avec bienveillance un juste (tsadik) connu de tous, même si a priori son acte a forcément été mû par de mauvaises intentions. Il faut penser que
  • c’est par inadvertance qu’il a agit, ou bien qu’il a certainement regretté son action et s’en est déjà repenti.
  • On restera vigilant dans le cas d’une personne mauvaise (racha) réputée pour sa conduite répréhensible. Même dans un contexte où son action semble tournée vers le bien, on restera vigilant, et on supposera que ses intentions n’ont pas changées.

Comment concilier ces règles qui définissent précisément la façon dont on doit juger son prochain, avec la règle de Hillel qui semble nous interdire de juger qui que ce soit?

Témoin objectif

A la lumière des interprétations de nos maîtres, il semble que Hillel statue sur les situations qui ne laissent aucun doute quant à leur nature condamnable.

Le principe de juger positivement (dan lekaf ze’hout) ne peut plus être appliqué sauf dans le cas d’un juste reconnu.

Mais même lorsque l’on ne peut plus juger favorablement, une nouvelle règle nous enjoint à la clémence:

«Toi qui n’a pas été mis à l’épreuve de la tentation sous la même forme et dans les mêmes conditions que ton prochain, ne t’avise pas de juger son action.»

(Rabbénou Ovadia)

Pour revenir au lexique employé par Hillel, le termechoisi : ‘ton prochain’ n’est pas un hasard.

Haver signifie habituellement un ami ou un proche. Car c’est en général ses proches que l’on se permet de juger, pensant connaître les détails de leurs actes, et leur contexte.

La psychologie humaine pousse à penser, lorsque l’on est le témoin d’une mauvaise action : «Moi, je n’aurais pas agit de cette façon»

Nul ne connaît l’avenir

Mais il faut lutter contre cette tendance naturelle, qui nous fait avoir une perception fausse de la réalité. Car Rabbénou Yona ajoute que cette partie de la Michna ( ‘ne juge pas ton prochain avant de t’être trouvé à sa place ’ ) vient compléter le principe précédent: ‘ ne sois pas sûr de toi jusqu’au jour de ta mort’ .

En effet, si l’on voit un proche qui a un comportement exemplaire, parfois même supérieur au nôtre, et qui pourtant commet une faute, on ne doit pas se dire: ‘Moi-même, si j’avais été à sa place, je n’aurais pas agit de cette manière.’

Car nul ne peut connaître l’avenir et savoir si la vie ne le confrontera pas à une épreuve similaire qu’il ne surmontera pas mieux que son ami.

On pourra se permettre de juger l’autre dans le seul et unique cas où on aura été mis dans une situation semblable, en ayant un niveau moral identique.

Hillel complète donc la maxime de Josué ben Péra’hia, en nous disant:

«Lorsque tu éprouves les plus grandes difficultés du monde à juger favorablement un acte répréhensible dont tu as été témoin dans les plus infimes détails, mets en marche un nouveau principe: imagine être à sa place et prend conscience du fait qu’il n’est pas évident que tu aurais mieux agi.

On rapporte à ce sujet une réflexion percutante du Sefat Emeth. Ce dernier remarquait que Hillel disait: ‘avant d’avoir été mis à sa place’ (limekomo).

Or, chaque homme est un monde en soi, composé d’une multitude de sentiments et de frustrations spécifiques, ayant suivi un parcours personnel, avec des épreuves particulières, un monde qui ne ressemblera donc jamais de façon parfaite à celui d’un autre.

Il est donc impossible de se trouver véritablement à la place de son prochain. On ne pourra donc jamais le juger.

Il est intéressant de citer à ce sujet l’interprétation du Sefat Emeth sur ce principe de juger positivement: ‘Dan eth kol haadam lekaf ze’hout ’ (juge tout homme positivement).

Le terme kol (tout) a une signification qui dépasse le fait d’englober tous les hommes. Ce terme signifie également l’homme et tout ce qui le construit.

Lorsque l’on juge les actes de son prochain, il faut prendre en considération toute sa personnalité (kol haadam): son parcours, ses épreuves, son caractère, en bref, toute son individualité. Tout cela rend donc presque impossible ce jugement.

Les limites de la clémence

Pour sa part, Rabbi Na’hman de Breslav commente les mots de Hillel de la façon suivante:

«Comment peux-tu juger l’autre. Possèdes-tu les aptitudes du Créateur. Comme Lui, es-tu capable d’instaurer un jugement parfait comme celui de Roch Hachana?»

Le Rabbi Yossef Yaavets ajoute quelques phrases éloquentes:

«Cette maxime de Hillel est la base de toute relation saine entre les hommes (ben adam le’havéro).

"Car quasiment toute les disputes trouvent leur origine dans le principe psychologique qui veut que l’on juge son semblable beaucoup plus implacablement que l’on se serait jugé soi-même. "Habitues-toi donc à juger ton prochain, même s’il t’offense, avec humanité et clémence, car à sa place, es-tu certain que tu aurais agi différemment?

"Dans tout échange avec ton prochain, n’espères pas de lui plus que tu n’aurais fais toi-même.

"En toute objectivité, mets-toi à sa place. Ainsi, tu pourras évaluer correctement les événements et éviter les conflits.»

Bien évidemment, ces principes de base ne viennent pas contredire ceux émis par Rabbénou Yona dans le cas d’un racha notoire. Dans ce cas précis, vouloir lui accorder des circonstances atténuantes comporte un grand risque, celui de minimiser le Mal et d’être éventuellement influencé par sa conduite. C’est d’ailleurs dans ce sens que le Midrach Chmouel explique que la maxime de Josué ben Péra’hia est immédiatement suivie par celle de Nitaï d’Arbele, qui nous conseille de nous éloigner d’un mauvais voisin: la vertu qui consiste à juger positivement son semblable ne concerne pas ceux qui sont imbibés de mauvaises intentions.

Nous conclurons par les mots de Rabbi Yossef ibn Chouchan:

«Le droit chemin (dere’h yéchara) exige de l’homme qui assiste à une mauvaise action qu’il éprouve en son cœur une crainte profonde et se dise:

"Comme celui qui vient de commettre cette mauvaise action, je suis fait de chair, et s’il a agit ainsi, je risque moi aussi de chuter. Il faut donc que je m’impose des protections supplémentaires."

Après avoir pris sur soi une plus grande exigence morale, il faut tenter, dans un langage doux et bienveillant, de raisonner son prochain, et de lui faire prendre conscience de son erreur.

On lui expliquera ensuite que même après avoir cédé à la tentation, les portes du repentir lui sont grandes ouvertes.»

Chabbath Chalom