Au nom du saint et vénéré Rabbi Haïm Cohen zt’l

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Chabbath Parachat Beaaloté’ha

4, 5 juin 2004 – 15, 16 sivan 5764

Jérusalem : Paris

Allumage des bougies : 19 h 02 Allumage des bougies : 21 h 28

Sortie de Chabbath : 20 h 19 Sortie de Chabbath : 22 h 53

Très chers amis,

J’ai le plaisir de vous adresser le dvar Thora de cette semaine.

Cette semaine, nous poursuivons notre cycle de réflexion sur les Pirké Avoth, « Maximes des pères ».

Avec notre plus cordial Chabbath Chalom,

Rav Chalom Bettan


Parachat Beaaloté’ha

4, 5 juin 2004 – 15, 16 sivan 5764

Contradictoire… mais vrai !

Par Rav Eliahou Elkaïm

Suite de la première Michna où il est mention d’Hillel, nous allons tenter de comprendre l’une des clefs de la réflexion et de l’intelligence juive, ou comment concilier les différentes facettes de la vérité…

« Hillel et Chamaï reçurent d’eux la tradition. Hillel disait : ‘Soyez les disciples d’Aaron, qui aimait la paix et la recherchait sans cesse, qui aimait les hommes et les amenait à l’étude de la Loi.’ »

(Chapitre 1, Michna 12)

Même si dans notre précédent Dvar Thora sur cette Michna nous avons déjà décrit le contexte historique dans lequel a vécu et œuvré Hillel, un fait supplémentaire demande cependant à être souligné.

Quand Hillel, âgé de quatre-vingt ans, est revenu pour la troisième fois à Jérusalem, il fut nommé Nassi (dirigeant spirituel).

Mais la situation s’était beaucoup dégradée depuis son séjour précédent.

Trois ans auparavant, Hérode avait pris le pouvoir et l’une des premières initiatives qu’il prit fut de faire exécuter tous les sages d’Israël, qui formaient le Sanhédrin.

Le Talmud (Baba Batra 3b), mentionne qu’Hérode, ancien esclave, se sentait directement concerné par la loi de la Thora concernant l’intronisation d’un roi dans le peuple juif :

« Hérode dit : ‘Le verset dans la Thora dit :

‘C’est un de tes frères que tu dois désigner pour ton roi’

(Deutéronome 17 ; 15)

Il est interprété par es maîtres d’Israël comme venant disqualifier celui dont l’ascendance n’est pas juive. »

Hérode étant un ancien esclave d’origine édomite, il décida de les faire tous exécuter, à l’exception de Baba ben bota, l’un des plus grands maîtres de l’époque, qu’il épargna pour l’employer comme conseiller.

Ce qui ne l’empêcha pas de manifester sa cruauté à son égard, en ordonnant de lui bander les yeux avec une peau de hérisson, jusqu’au moment où il perdit la vue. »

Il semble qu’il fit exécuter uniquement les membres du Sanhédrin, épargnant les autres maîtres en Thora (cf. commentaire des Tossafot et de Rabbénou Guerchom ibid.).

Mais on imagine sans mal l’état d’esprit dans lequel se trouvaient les rescapés.

Antagonisme

Chamaï ne fut pourtant pas inquiété car plusieurs années auparavant, il avait prédit que cet esclave prendrait un jour le pouvoir.

Constatant que ses paroles s’étaient réalisées, Hérode lui permit de garder ses fonctions sacrées.

D’après certains témoignages, notamment dans les écrits de Flavius Josèphe, Hérode, malgré sa haine pour les représentants de la Thora, n’obligea pas non plus Hillel et ses disciples à lui porter serment de soumission.

Il constata qu’Hillel suscitait un amour inconditionnel de la part du peuple juif, au point que sa parole avait plus de poids que celle du Grand prêtre ou du Roi.

Pour éviter les réactions du peuple et par respect pour Hillel, il préféra donc lui laisser l’autonomie de dirigeant spirituel.

C’est ainsi qu’Hillel put propager son enseignement et former des milliers de disciples, malgré le pouvoir anti-religieux.

Quel était le secret d’Hillel pour être tant aimé de ses contemporains, et respecté par un tyran tel qu’Hérode ?

Même Flavius Josèphe, parle seulement de Hillel et Chamaï, alors qu’il ne mentionne dans toute son œuvre pratiquement aucun maître en Thora de l’époque :

« (…) Mais quand Hérode voulut forcer également les pharisiens, Hillel et Chamaï, ainsi que leurs disciples, à lui jurer fidélité, ces derniers s’y opposèrent très violemment.

Et Hérode se refusa de porter la main sur eux, contrairement à ce qu’il avait fait envers d’autres, car il respectait Hillel. » (XV, 10 ; 4 Antiquités judaïques)

Pour mieux comprendre la conception d’Hillel, il nous faut expliquer l’antagonisme entre lui et Chamaï, à la lumière des interprétations de nos maîtres, qui permet de se faire une idée très différente de l’approche superficielle que l’on entend souvent…

Les paroles du D.ieu vivant

Hillel et Chamaï furent les élèves de Chemaya et Abtalion, et ils sont les deux seuls à avoir reçu la Thora dans son intégralité de la bouche de leurs maîtres (cf. Maïmonide).

Pourtant, c’est entre eux, et leurs écoles, que vont se développer les divergences les plus profondes.

Et cette opposition est donnée par nos maîtres (Avoth 5 ; 17) comme exemple d’une discussion où le seul but est de parvenir à la vérité (ma’hloket lechem chamayim : littéralement, opposition au nom du Ciel).

Le Talmud nous permet d’avancer dans notre réflexion :

« Rabbi Abba rapporte au nom de Chmouel : ‘Pendant trois ans, l’école de Chamaï et l’école d’Hillel déclaraient respectivement que la loi (hala’ha) devait être fixée d’après son opinion.

C’est alors qu’une voix céleste (bat kol) se fit entendre : ‘Celle-ci et celle-ci sont des paroles du D.ieu vivant, mais la loi est fixée selon l’avis de Hillel.’ »

Le Talmud pose immédiatement la question suivante : si les deux opinions sont vraies et sacrées, pourquoi l’école d’Hillel a-t-elle mérité que la loi soit tranchée d’après sa vision des choses ?

La réponse est que les disciples de l’école d’Hillel étaient doux, respectueux et pleins de patience : par respect pour l’école de Chamaï, ils citaient toujours l’avis de ces derniers, et n’hésitaient pas à le mentionner avant leur propre opinion.

Cela vient nous apprendre que celui qui sait se faire petit et humble, D.ieu l’élève, et qu’à l’inverse, celui qui se met en avant, D.ieu diminue son importance. »

(Talmud Erouvin 13b)

Texte étonnant car comment comprendre que deux opinions contradictoires sont toutes les deux des paroles qui émanent de D.ieu ?

Comment comprendre ensuite les mots qui se rapportent par allusion à Chamaï (‘celui qui se met en avant, D.ieu diminue son importance’), mots apparemment péjoratifs, qui semblent incompatibles avec le haut degré spirituel de Chamaï, notion émise par la voix céleste ?

Présence divine

L’interprétation du Ritva va nous permettre de répondre à la première question :

« Les grands maîtres de l’école des Tossafistes ont posé la question : comment est-il concevable que deux opinions contradictoires, l’une affirmant qu’une choses est permise, l’autre qu’elle est interdite, puissent avoir toutes deux une origine divine, et être donc vraies ?

Ils répondent de la manière suivante :

Lorsque Moïse est monté sur le mont Sinaï pour recevoir la Thora, on lui montra qu’au niveau du raisonnement pur, il y a quarante-neuf raisons logiques de trancher qu’une chose est interdite, et quarante-neuf autres pour trancher que cette même chose est permise.

Moïse demanda alors à D.ieu : « Comment devrons-nous procéder ? »

D.ieu lui répondit : « A partir de maintenant, le rôle des maîtres d’Israël sera de redécouvrir, à travers leur raisonnement et leur travail, les différents aspects de la vérité. Ensuite, si les avis sont partagés, la hala’ha sera fixée d’après certaines règles, dont la plus répandue sera de suivre la majorité des avis. » (‘Hidouché haRitva ibid.)

Evidemment, pour redécouvrir les différents aspects de la vérité qui ont été montrés à Moïse au Mont Sinaï, il faut s’être hissé à un niveau de sagesse et de pureté très particulier.

C’est alors seulement que l’on peut affirmer : ‘Celle-ci et celle-ci sont des paroles du D.ieu vivant’, les deux approches sont vraies, même si contradictoires.

Ce n’est pas le cas quand deux élèves rapportent au nom de leur maître un message différent, car cela ne peut être dû qu’à une mauvaise compréhension ou à un oubli. (cf. Rachi Ketouboth 57a).

Hillel et Chamaï sont les premiers à avoir mérité que la voix céleste considère leurs opinions comme révélant chacune un aspect de la vérité, et ces deux maîtres d’Israël sont les parfaits exemples de ce mécanisme.

Par leur abnégation et leur objectivité, leur élévation spirituelle et intellectuelle, ils ont pu révéler, chacun avec son âme et sa perception spécifique, l’une des face de la vérité.

Pourquoi Hillel fut choisit pour que la loi soit statuée d’après son avis ? C’est ce que nous découvrirons dans le Dvar Thora de la semaine prochaine…

Chabbath Chalom