Parachat Tsav

Le sublime aveu

Par le Rav Eliahou Elkaïm

L’offrande de reconnaissance transcende le temps. Car exprimer notre reconnaissance envers D.ieu est le but de la création…

Figurent dans notre paracha, les lois concernant les différentes offrandes : L’holocauste (ola), l’expiatoire (‘hatat), l’offrande délictive (Acham) et le sacrifice rémunératoire (chelamim).

Parmi les différents sacrifices rémunératoires (chelamim), qui sont en général des offrandes volontaires (nédava), il y a le sacrifice de reconnaissance (korban toda), qui se différencie des autres par certaines lois particulières.

ce korban toda est une obligation pour tous ceux qui ont vécu un miracle personnel, et cela dans quatre cas, fixés par nos maîtres (cf. Rachi Lévitique 7 ; 12) :

• Des voyageurs en mer qui sont parvenus à bon port.

• Ceux qui ont dû traverser le désert et qui ont pu en sortir.

• Les détenus qui ont été libérés de leur captivité.

• Celui qui s’est relevé d’une sérieuse maladie.

De nos jours, alors que nous n’avons plus la possibilité d’apporter l’offrande de reconnaissance, les personnes qui auraient vécu le même genre d’expérience et de miracle sont tenus de réciter la bénédiction dite « Hagomel » au moment de la lecture de la Thora (cf. Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm chap. 219).

D’après certaines opinions, cette obligation doit également être appliquée par des personnes qui auraient échappé à d’autres dangers (idem 219 ; 9).

Changer sa vie

A l’époque du temple, l’offrande de reconnaissance (korban toda) avait comme caractéristique deux lois particulières :

1. Le sacrifice était accompagné de quarante pains, dont dix pains levés (‘hamets) et trente pains azymes (matsa).

2. Cette offrande devait être consommée dans sa totalité avant l’aube de lendemain du sacrifice.

Celui qui avait apporté l’offrande avait donc un jour et une nuit pour la consommer.

Le Midrach met en relief la valeur tout à fait spéciale de cette offrande et il conclut par l’affirmation suivante:

« Rabbi Pin’has, Rabbi Lévy et Rabbi Yo’hanan disent, au nom de Rabbi Ména’hem Degalia :

‘Au temps messianiques (léatid lavo), tous les sacrifices cesseront (car ils expient les fautes - commentaires sur le Midrach), mais le sacrifice de reconnaissance (korban toda) ne cessera jamais’ »(Vayikra Rabba 9 ; 7)

Quelle est la valeur toute particulière de ce sacrifice, qui se distingue de tous les autres, et quel est le sens des lois spéciales qui le caractérisent ?

La Thora le désigne pourtant comme korban chelamim. Le sacrifice de reconnaissance fait donc partie de la même catégorie…

Une autre remarque s’impose. Si ce sacrifice exprime la reconnaissance de l’homme envers son Créateur, pourquoi se limite-t-il à une situation de danger dont l’homme serait sorti indemne ?

N’existe-t-il pas d’autres manifestations de la Miséricorde divine qui ressemblent au miracle ?

Et pourquoi toutes ces situations sont-elles liées à un danger physique ?

Celui qui vit dans la pauvreté, et qui gagne une somme très importante à la loterie qui va littéralement changer sa vie, ne ressent-il pas une reconnaissance débordante vis à vis de D.ieu ?

Pourquoi ne doit-il pas apporter lui aussi un korban toda ?

Bienfaits permanents

Rabbi Zadoc Hacohen de Lublin (Péri tsadik vol I Maamaré Kedouchat Hachabbath chap.7) nous propose une première piste pour comprendre cette problématique.

« Le korban toda ne sera jamais aboli car il représente l’offrande la plus profonde, celle qui remercie D.ieu. Il reste donc nécessaire de tous temps, même à une époque où l’homme atteindra la plénitude (chlémout) dans sa relation avec D.ieu.

En revanche, l’effet réparateur des offrandes expiatoires n’aura plus lieu d’être.

Seules subsisteront les louanges et la reconnaissance des bienfaits permanents de D.ieu, raisons d’être de la création. »

A ce sujet, une remarque de Rav Isaac Hutner zatsal (Pa’had Its’hak, ‘Hanouka chap. 2-2) est à relever.

Le terme Toda, employé pour ce sacrifice, a pour racine hodaa.

Or, le termehodaapossède un double sens en hébreu.

Le premier sens est celui du remerciement, reconnaissance.

Le second est l’aveu.

Par nature, l’homme aspire à ne pas être dépendant de l’autre.

Exprimer sa reconnaissance, c’est avant tout admettre que cette aspiration n’a pas été atteinte.

Cet aveu de faiblesse, d’échec, est indissociable de la reconnaissance. Et combien cet aveu est douloureux quand il s’agit de reconnaître sa dépendance vis à vis du Créateur, qui nous donne tout, à chaque instant !

Car l’homme a tendance à attribuer ses réussites et ses victoires à son intelligence et à ses efforts.

Or, remercier D.ieu c’est reconnaître notre dépendance totale vis à vis de Lui. Cette reconnaissance, comme le souligne Rabbi Zadoc Hacohen, c’est l’essence même du rôle de l’homme dans la création.

Le canal du bonheur

Le Maharal ajoute un nouvel élément.

Pourquoi fallait-il que l’offrande Toda soit accompagnée de pains levé (‘hamets) et azymes (matsa), alors que les oblations sont toujours azymes ?

Ces deux sortes de pains sont opposées et on les offre ensemble. C’est une façon, pour celui qui offre Lekorban Toda, d’exprimer l’unité de D.ieu, qui Lui aussi contient tous les contraires.

C’est aussi, on le sait, l’occasion d’exprimer deux symboles classiques : Le‘hamets

symbolise la difficulté et la matsa la délivrance (Nétivot Olam, Nétiv guemilouth ‘Hassadim chap.4)

L’auteur du Sifté ‘Haïm (volume 2 page 222) développe le sens véritable des mots du Maharal : la délivrance de D.ieu, lorsqu’on en approfondit le sens, va nous montrer que la difficulté et la souffrance ne sont qu’un canal pour parvenir au bonheur.

Le niveau le plus élevé de la connaissance humaine est de comprendre que tout ce qui émane de D.ieu est le bien absolu.

En approfondissant le sens du miracle et de ce qui l’a précédé, on pourra saisir l’étendue de la Bonté du Créateur.

Le roi David exprime cette idée dans ses Psaumes : « Je veux chanter la bonté et le jugement rigoureux(michpat) » (Psaumes 101 ; 1)

Car le jugement divin, même s’il peut nous paraître sévère, est évidemment une émanation de la bonté divine.

Nous comprenons à présent pourquoi le korban toda correspond à quatre situations bien précises : seulement lorsqu’un danger réel a précédé la délivrance.

Grâce à la reconnaissance des bienfaits de D.ieu, on perçoit dans son ensemble l’épisode que l’on vient de vivre.

Alors seulement la hodaa prend toute sa signification est devient éternelle, transcendant le temps et perdurant aux temps messianiques.

Lorsque l’homme parvient à prendre conscience que les difficultés et ce qui lui apparaissait comme le mal n’étaient que des moyens dans le plan divin pour le faire accéder à la vérité de la grandeur de D.ieu, seule vraie joie sur terre, il a réalisé le but véritable pour lequel il a été créé.

Un moment particulier

Enfin, il nous reste à comprendre la raison du temps limité dont on disposait pour consommer le korban toda.

Le Netsiv (Rabbi Naftali Z. Yéhouda Berlin, Roch Yéchiva de Volozhine) l’explique de la façon suivante, en s’appuyant sur des versets des Psaumes :

«A Toi, j’offrirai un sacrifice de reconnaissance (zeva’h toda), et je proclamerai le nom du Seigneur.

Mes vœux, je les acquitterai envers l’Eternel, à la face de tout son peuple

Dans les parvis de la maison de l’Eternel, dans ton enceinte, ô Jérusalem » (Psaumes 116 ; 17, 18)

Alors que la Thora encourage les hommes à la discrétion, on s’étonne de l’expression concernant le korban toda, « à la face de tout son peuple »…

En fait, il faut que l’homme, par le korban toda, narre et publie les bienfaits de D.ieu, en en approfondissant le sens.

C’est pour parvenir à ce but que la Thora a fixé l’obligation de consommer la viande du sacrifice et les quarante pains en un temps si court. Ainsi, celui qui apporte un telle offrande sera oblier, pour ce faire, d’inviter de nombreux proches et amis.

Et c’est ainsi qu’il racontera le miracle qu’il a vécu, publiera les bienfaits de D.ieu qui l’a sauvé (Heemek Davar ibid.)

Enfin, le Malbim, dans son commentaire sur l’un des verset du Psaume pour le sacrifice de reconnaissance, Mizmor letoda (Psaume 100) nous donne une dernière vision de ce concept.

Ce Psaume était chanté pendant le sacrifice du Korban Toda. !

« Entrez dans ses portes avec des actions de grâces (toda),dans ses parvis avec des louanges. » (Psaume 100 ; 4)

Lorsque l’on a une requête à adresser à un personnage influent, on commence la rencontre par des compliments et des éloges à son égard, pour attirer ses bonnes grâces.

En quittant les lieux, si l’on a eu gain de cause, on adresse ses remerciements et sa reconnaissance.

A l’égard de D.ieu, c’est le processus inverse.

A ses portes, on Le remercie déjà pour ses bienfaits, car ils sont permanents. Dans ses parvis, on pourra approfondir la connaissance des voies divines, et alors seulement dans la sincérité et la vérité, on pourra adresser des louanges.