Parachat Vayakhel

Chabbath, le sanctuaire du temps

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Notre paracha met en relief le lien étroit qui unit Chabbath avec le sanctuaire. L’occasion de remonter le temps et de revenir, pour un moment, à l’état idéal d’Adam et Eve au Gan Eden…

Au lendemain de Yom Kippour, Moïse redescend de la montagne de Sinaï après avoir obtenu le pardon divin pour la faute du veau d’or.

Il rassemble alors toute la communauté d’Israël pour leur transmettre l’ordre de D.ieu de construire un sanctuaire.

Cependant, il réitère d’abord le commandement de respecter les lois du Chabbath.

Nous allons découvrir, à travers les enseignements de nos maîtres, le lien étroit et profond qui unit Chabbath et le sanctuaire.

« Moïse fit assembler toute la communauté des enfants d’Israël et leur dit : ‘ Voici les choses que l’Eternel a ordonné d’accomplir.

Pendant six jours, on se livrera au travail, mais au septième jour, vous aurez une solennité sainte, repos complet en l’honneur de l’Eternel ; quiconque y accomplira un travail mourra.’»(Exode 35 ; 1-2)

Rachi (ibid.), citant la mé’hilta, explique : « On a mis l’interdiction (du travail) le Chabbath avant le commandement concernant le travail du Tabernacle, pour dire que ce dernier ne repousse pas (dans le sens de « ne supprime pas ») le Chabbath. »

Ce qui signifie que même la construction du sanctuaire est interdite le Chabbath, malgré son caractère purement spirituel.

Le Talmud ajoute : « Rabbi (diminutif de Rabbi Yéhouda Hanassi) dit : ‘le terme employé

Elé hadevarim(voici les choses) est une allusion aux nombres de travaux interdits le chabbath (39).

Devarim (les choses) étant au pluriel, exprime le chiffre 2. L’adjectif

ha(devant devarim) ajoute un troisième travail. Enfin, le mot élé (voici) a une valeur numérique (guématria) de 36. Cela fait au total 39 travaux interdits le Chabbath.’ » (Chabbath 70a)

Le Talmud précise par ailleurs que les 39 travaux interdits sont ceux-là mêmes qui étaient effectués lors de la construction du sanctuaire. Cela est déduit de la proximité de ces deux concepts (chabbath et le sanctuaire), dans notre paracha.(Chabbath 49b)

On le voit, la Thora a lié ces deux éléments. Cela n’est certainement pas fortuit. Mais quelle relation peut-il y avoir entre ces deux notions ?

Dévoilement…

Pour commencer il est intéressant de citer un texte du Midrach qui précise le rapport entre Chabbath et le rassemblement par Moïse de la communauté d’Israël.

« Nos maîtres nous font remarquer que dans toute la Thora, il n’y a aucune paracha qui commence par un rassemblement général de tout le peuple juif, exceptée notre paracha,Vayakhel.

D.ieu dit à Moïse : « Organise de grandes réunions publiques et enseigne leur le lois du Chabbath, afin que les générations à venir prennent exemple sur toi et réunissent, à leur tour, chaque Chabbath, le public dans les lieux d’étude pour leur enseigner ce qui est permis et ce qui est interdit…

Moïse dit à Israël : ‘Si vous agissez selon ce programme, D.ieu considérera que vous l’avez déclaré Roi sur tout l’univers.’ » (Yalkout Chimoni ibid.)

Rabbi Haïm Friedlander zatsal, dans son ouvrage Sifté Haïm ( volume 3,p.406), va nous faire découvrir une nouvelle optique, qui met en lumière le lien entre Chabbath et le sanctuaire.

Grâce à cet éclaircissement, nous pourrons également comprendre en quoi le Chabbath est la clé pour reconnaître D.ieu comme roi de tout l’univers.

Il cite d’abord un texte du Zohar qui établit une relation entre les 39 travaux interdit Chabbath, les 39 coups administrés comme châtiment à celui qui transgresse une interdiction de la Thora, et les 39 malédictions adressées à Adam, Eve, le serpent et la terre après la faute d'Adam (Tikouné Zohar ; Tikoun 48 ; 96).

Pourquoi ces trois notions sont-elles liées ?

Pour le comprendre, nous devons d’abord revenir aux différents stades de la création, et notamment celui qui précède la faute d’Adam et celui qui va suivre cette faute.

Le Ram’hal développe ce sujet dans Daat Tevounot (chapitre 126) :

Avant la faute, Adam et Eve se trouvaient à un tel niveau de spiritualité, que même leurs actes les plus matériels étaient élevés à un degré de sainteté (kedoucha), touchant la perfection.

Le Bien et le Mal

Aucune autre pensée que celle d’accomplir la volonté divine n’effleurait leur esprit.

Ainsi, on comprend qu’ils ne ressentaient aucune gêne ou honte devant leur nudité, car à leurs yeux, toutes les parties du corps étaient des outils pour accomplir la volonté du Créateur, et étaient donc empreintes de sainteté.

Après la faute, un changement radical eut lieu.

Le Bien et le Mal devinrent étroitement mêlés.

L’action humaine fut conditionnée, et cela pour toujours, par d’autres facteurs, étrangers à la volonté divine.

Par la nature des intentions qui l’a entraîné, un acte, le meilleur soit-il, pourra très difficilement atteindre la pureté absolue.

Le juste (tsadik) ne pourra désormais plus atteindre la perfection (chlémout).

Même s’il n’a jamais commis d’actes répréhensibles, il est presque impossible que tout au long de sa vie, ses bonnes actions soient toujours parfaites.

En effet, même dans le meilleur de ses actes, peuvent exister des intentions subtilement étrangères à la seule volonté de D.ieu.

C’est ce que le verset exprime : « Il n’est pas d’homme juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir.» (Eclésiaste 7, 20)(Néfech Ha’haïm de Rabbi Haïm de Volozhine 1 ; 6).

Ainsi, les mots par lesquels D.ieu annonce son châtiment à Adam prennent un sens très particulier :

«Et à l’homme, Il dit : ‘Parce que tu as cédé à la voix de ton épouse, et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais enjoint de ne pas manger, maudite est la terre à cause de toi : c’est avec effort que tu en tireras ta nourriture, tant que tu vivras.

Elle produira pour toi des buissons et de l’ivraie, et tu mangeras de l’herbe des champs. C’est à la sueur de ton front que tu mangeras du pain.’ » (Genèse 3 ; 17-19)

Jusqu’à la faute, Adam se trouvait au Gan Eden, où « des anges lui grillaient la viande et lui séparaient le vin de la lie» (Talmud Sanhédrin 59b).

Derrière ces termes, se cache une idée très profonde : au Gan Eden, on séparait pour lui la partie non-comestible des aliments, ce qu’on appelle en hébreu psoleth, de la partie consommable.

La sainteté enveloppait totalement Adam et il n’avait pas besoin d’extirper le mal du bien.

Sa seule préoccupation dans ce domaine, était d’éviter d’être tenté par l’arbre de la science du Bien et du Mal.

Le serpent, qui représente la tentation et les forces du mal, était un élément extérieur à Adam. Le Mal n’était pas inné en lui.

Après la faute, le rôle de l’homme sur terre va changer.

Désormais, le Mal est introduit en lui-même et il lui faudra discerner, dans les intentions de chaque acte, le Bien et le Mal, en tentant d’extirper les intérêts personnels ou égoïstes, pour parvenir à agir, le plus possible, dans le seul but de réaliser la volonté de D.ieu.

C’est le sens des buissons et de l’ivraie que la terre va produire : les bonnes et les mauvaises herbes sont mélangées.

Mission de sainteté

Les Kabbalistes (Taamé hamitsvoth du Ari zal, parachat Behar) expliquent l’interdiction d’accomplir les 39 travaux pendant Chabbath :

« Pendant les six jours de la semaine, l’homme doit s’efforcer d’extirper le mal et d’insuffler, à chacun de ses actes, un sens lié à la sainteté (kedoucha).

Ce travail, c’est l’essence des 39 malédictions adressées à l’homme après la faute. Ces 39 malédictions sont en rapport direct avec les 39 travaux qui représentent les actes humains principaux : labourer, semer, …

Lorsqu’arrive Chabbath, l’homme revient au rôle initial de la création, celui d’Adam avant la faute. Il doit alors s’abstenir de tout acte étranger à la kedoucha, de tout travail profane, pour s’investir totalement dans sa mission de sainteté.

Il lui est donc interdit d’effectuer ces mêmes 39 travaux. »

A présent, l’analogie avec le sanctuaire devient perceptible :

Pour créer l’enceinte où siégera la présence divine, il fallait utiliser des éléments matériels et les élever, par les intentions les plus pures, à un niveau de sainteté inégalé.

C’est ce qu’exprime le Midrach sur le verset : « Tu feras des solives destinées au tabernacle» (Exode 26 ; 15).

« Rabbi Avin dit : cela peut être comparé à un roi qui avait une belle apparence. Il demanda à l’un de ses serviteurs de le dessiner.

Comment pourrais-je réussir, mon roi ?

Tu utiliseras tes couleurs et ton talent, c’est tout ce que je te demande, répondit le roi.

Lorsque D.ieu dit à Moïse :

Tu verras et tu feras (le sanctuaire) (Exode 25 ; 40), Moïse, lui répondit :

Maître de ce monde, suis-je une divinité pour pouvoir réaliser cela (l’image conforme du sanctuaire des cieux) ?

Fabrique-le en azur, en pourpre et en écarlate sous la forme que tu as observé en haut, et c’est alors que J’abandonnerai mes serviteurs d’en-haut pour venir siéger parmi vous, répondit D.ieu. » (Chemot Rabba 35 ; 6)

D.ieu nous demande de lui préparer un sanctuaire où Il puisse résider en utilisant des éléments purement matériels.

C’est ainsi que le règne divin deviendra effectif, et qu’il agira sur les actes humains, les élevant au plus haut niveau possible.

Concrétisation sublime

Pendant les six jours de la semaine, l’homme doit introduire la sainteté dans ses actes, dans le cadre de l’action et du travail. Et il doit pour cela extirper toutes les intentions mauvaises qui peuvent s’y mêlées.

La concrétisation la plus sublime de cette idée fut la fabrication du sanctuaire, effectuée par le biais des 39 travaux.

Ce sont les intentions de ceux qui vont le fabriquer qui vont élever les 39 travaux basés sur des éléments matériels, à un niveau tel que cette construction va hisser le monde physique au summum de la sainteté, celle de la présence divine (hachraat hache’hina).

En revanche, le jour du chabbath, l’homme découvre un nouveau système où la sainteté règne déjà au départ.

En s’abstenant des 39 travaux, on découvre la teneur véritable de cete kedoucha : cette sainteté, qui imprègne ce jour est décrite par nos maîtres comme étant un soixantième du monde futur (olam haba). Cela est désigné comme méein olam haba : un aperçu du monde futur (Talmud Bera’hot 57b).

Des actes matériels, comme l’action de boire ou de manger, peuvent atteindre un niveau de kedoucha, inaccessible pendant les jours de la semaine.

Là se trouve le sens du concept de nechama yétéra, l’âme supplémentaire qui s’installe chez les Juifs le jour de Chabbath (Talmud Beitsa 16a).

Rachi (ibid.) explique : le cœur devient prédisposé au repos, à la joie et à l’ouverture. Il pourra manger et boire plus que son habitude sans éprouver de gêne.

En quoi le fait de pouvoir manger plus est-il une marque de l’élévation de l’âme ?

Pendant les jours de la semaine, la nourriture peut amener l’homme à trop s’investir dans le monde matériel.

Chabbat par contre, sa néchama yétéra lui permet d’élever le matériel à la sainteté (kedoucha).

Ce que le sanctuaire apporte, le chabbath l’offre sous une autre forme.

Dans le sanctuaire, les éléments matériels sont sanctifiés.

Chabbath élève

les actes matériels

au niveau du spirituel.

la mitsva de oneg chabbath(agrémenter le chabbath par une nourriture spéciale et des vêtements de fête) doit être comprise dans ce sens : celui d’élever les actes matériels à la sainteté.

Un élément nouveau

L’Admour d’Ozrov zatsal, dans son ouvrage Beer Moché (ibid.), interprète dans le même sens le rapport entre chabbath et le sanctuaire, en y apportant cependant un élément nouveau.

La Thora a déjà mentionné à plusieurs reprises (Décalogue Exode 20 ; 8-10) et dans la paracha Ki-Tissa Exode 31 ; 12-17) l’interdiction de faire des travaux le chabbath.

Mais alors, pourquoi attend-elle notre paracha pour nous informer qu’il s’agir de 39 travaux, par l’utilisation du termeélé hadevarim

?

Pour répondre à cette question, il cite le Méor Enaïm (ibid.) :

« La création, à son origine, était telle que l’homme n’avait aucun travail à accomplir si ce n’est celui de servir son Créateur. Tel sera aussi le monde futur.

C’est la faute d’Adam qui entraîné les 39 malédictions, et c’est cette faute qui va contraindre l’homme à effectuer 39 travaux pour sa subsistance.

Le Chabbath est un aperçu du monde futur. C’est la raison pour laquelle il faut s’abstenir de faire ces mêmes 39 travaux. »

Un goût de paradis

Lors de la révélation au Mont Sinaï, le peuple juif a atteint, à nouveau, le niveau d’Adam avant la faute (Talmud Chabbath 146a - Psaumes 82 ; 6 - Rachi ibid.).

Il est donc revenu à l’état initial où tout était préparé pour lui. Il n’a donc plus de lien avec le concept des 39 travaux.

L’interdiction devient d’ordre général.

C’est seulement après la faute du veau d’or que le peuple d’Israël revient à son niveau antérieur. C’est à nouveau à travers les 39 travaux que l’on parviendra à la sainteté.

Alors intervient l’ordre divin qui interdit ces travaux le chabbath, meein

olam haba.

On le voit, Chabbath n’est pas une institution d’ordre social et l’interdiction de faire certains travaux n’est pas un moyen d’obliger au repos et à la détente.

Le créateur a offert au peuple juif un goût du monde futur, pour l’élever à un degré de sainteté inaccessible pendant la semaine.

On comprend à présent les mots du Yalkout Chimoni quand il dit : « Si vous agissez selon ce programme, D.ieu considérera que vous l’avez déclaré Roi sur tout l’univers. »

Fort de ces notions, on prend conscience de l’importance de se préparer au Chabbath, et d’insuffler l’élévation morale dans chacun de ses détails.

Sinon, on risque, comme le disait Rabbi Israël Salanter, de consommer tout le Chabbath en savourant les mets traditionnels.

Et ce n’est certainement pas le but véritable de ce cadeau divin.

C’est en intériorisant les enseignements de nos maîtres, que l’on pourra aspirer de toute son âme à goûter ces moments extraordinaires où le matériel devient sainteté.