Parachat Yitro

La soif de vérité… et plus encore !

Rav Eliahou Elkaïm

La paracha de cette semaine, celle du don de la Thora (Matan Thora), porte le nom de Yitro, le beau-père de Moïse, un non-juif converti au judaïsme. Et ce n’est pas une simple coïncidence…

La narration de la révélation sinaïtique débute par l’histoire de Yitro, qui rejoint la communauté d’Israël.

Après avoir eu l’écho de la traversée de la mer rouge par les Juifs, puis de la défaite d’Amalec (Rachi 18 ; 1), Yitro décide de lier son sort à celui d’Israël.

«Yitro, prêtre de Midian, beau-père de Moïse, entendit tout ce que D.ieu avait fait à Moïse et à Israël, son peuple, car L’Eternel avait fait sortir Israël d’Egypte» (Exode 18 ; 1).

Yitro rejoint alors Israël dans le désert.

Pourquoi un fait aussi important que la transmission de la Thora au peuple juif directement par D.ieu commence par le récit de cette conversion ? Et comment expliquer qu’une paracha aussi centrale dans l’histoire universelle porte le nom de Yitro et ne porte pas comme titre un élément en relation directe avec son contenu ?

Un verset (Exode 12 ; 38) dans la parachat Bô, nous raconte déjà l’histoire des non-juifs qui ont suivi le peuple d’Israël quand il est sorti d’Egypte.

«De plus, un mélange (de nations) nombreux les avait suivis, ainsi que du menu et du gros bétail en troupeaux très considérables ».

Rachi commente : un mélange de nations s’était joint au peuple juif dans le but de se convertir. D’après nos maîtres, certains faisaient partie de l’élite intellectuelle de l’Egypte.

Prouesses idolâtres

Malgré son nombre, ce groupe passe presque inaperçu dans la Thora, et nos maîtres nous révèlent que c’est ce mélange d’étrangers venus d’Egypte, qui s’est plus tard coalisé contre Aaron en exigeant la fabrication d’un dieu.

Plus tard, devant le veau d’or, ils diront : « Voici tes dieux, Israël» (Exode 32 ; 4), entraînant le peuple juif à les imiter (Rachi ibid.)

Mais nous allons découvrir que Yitro se différenciait des autres, car ses motifs et ses aspirations étaient d’un tout autre niveau.

Mais comment comprendre que la Thora mentionne parallèlement deux éléments le concernant tout à fait opposés et contradictoires ?

Il est d’une part le beau-père de Moïse : être lié par un tel lien familial au plus grand prophète de tous les temps, le guide du peuple juif, prouve son mérite immense. D’autre part, on rappelle ses terribles forfaits : il était un idolâtre invétéré.

C’est en étudiant sa personnalité et en analysant son comportement que nous allons comprendre les véritables intentions de la Thora.

En réalité, nous retrouvons plus précisément encore le rappel du passé de Yitro lors de la description de la généalogie de la tribu de Lévy (Exode 6 ; 14-26).

D’après Na’hmanide (ibid.), tous les noms cités dans ce cadre sont ceux de personnes de très hautes statures et d’illustres ascendances desquelles seront issus Moïse, Aharon, Eléazar et Pin’has.

C’est dans ce contexte que la Thora nous raconte l’origine de la mère de Pin’has : elle était la fille de Poutiel.

Qui était Poutiel ? Et quelle est l’origine de ce nom ?

Il était issu (Talmud Baba Batra 110) de Yossef qui a vaincu (pitpeth) son mauvais penchant et de Yitro, qui engraissait (pitem) les veaux pour les sacrifier aux idoles.

Yitro n’est plus mentionné seulement comme un idolâtre mais comme un passionné de pratiques païennes, qui malgré son rang engraissait lui-même les bêtes !

Pourtant, on le sait, il est interdit de rappeler à un Baal techouva(celui qui est revenu à la tradition et qui est a regretté sincèrement ses fautes), ses erreurs passées. Et de même, il est interdit de rappeler à un descendant de converti les actes de ses ancêtres (Michna Baba Metsia 58b).

Comment est-il possible que la Thora précise les prouesses idolâtres de Yitro, allant à l’encontre des lois qu’elle prescrit ?

Rabbi Sim’ha Zissel Broïde dans son ouvrage

Sam dere’h

nous éclaire et nous aide à éluder cette apparente contradiction. Une idée similaire est exprimée par le Chem Michmouel (année 5674).

L’un des plus grands philosophes de son époque

Yitro n’était pas un idolâtre comme les autres :

«Je reconnais maintenant, je sais que l’Eternel est plus grand que tous les dieux», dit Yitro. (Exode 18 ; 11)

Rachi sur ce verset, cite la Mé’hilta : « Yitro connaissait toutes les pratiques païennes du monde. Il n’existait pas une seule idole qu’il n’ait pas adoré ».

A l’époque d’Avraham, nous savons qu’il existait déjà quatre cent théories païennes ! (Talmud Avoda Zara 14b).

Yitro, qui était l’un des plus grands sages et philosophes de son époque, et l’un des conseillers de Pharaon (Talmud Sota), pensait que pour comprendre parfaitement une théorie, il fallait d’abord en adopter tous les us et coutumes.

Et comme il est précisé dans la généalogie citée ci-dessus, Yitro, infatigable et zélé, engraissait lui-même les veaux qu’il préparait au sacrifice.

Il testait une doctrine jusqu’au moment où il constatait son absurdité. C’est alors qu’il s’investissait dans un autre système.

Yitro s’est donc engagé dans une recherche philosophique très particulière, recherche mue par une rigueur intellectuelle parfaite, issue d’une soif intense et intarissable de vérité. Sans cela, il n’aurait jamais trouvé la force de continuer inlassablement sa quête à travers les différents systèmes théologiques de son époque.

L’aboutissement de cette quête profonde et sincère fut de proclamer que la seule vérité de ce monde est l’existence d’un D.ieu unique.

Il faut préciser que les théories païennes de l’époque trouvaient leurs origines dans la conviction que le Créateur du monde avait délégué Ses pouvoirs aux astres, aux signes du Zodiac, et à la sorcellerie (Maïmonide Yad Ha’hazaka hil’hot Avoda Zara chapitre 1).

En rappelant le fait que Yitro était prêtre de Midian, et qu’il engraissait lui-même des veaux pour les sacrifices, la Thora souligne en fait que sa recherche de vérité était d’une intensité sans précédent.

Loin d’être péjoratives, ces descriptions viennent dévoiler la valeur de la personnalité de Yitro.

Et de fait, il est le seul à avoir compris le sens véritable des miracles de la traversée de la mer rouge et de la défaite d’Amalec.

Tous les autres représentants des nations ont pourtant été saisis d’effroi devant la puissance dévoilée de D.ieu :

«Des peuples l’apprennent et il tremblent, un frisson s’emparent des habitants de Philistie. Alors, s’effraient les princes d’Edom, les vaillants de Moab, la terreur les saisit, ils défaillent tous les habitants de Canaan» (Exode 15 ; 14-15 ; texte de la Chira).

Mais ces peuples ne sont pas allés plus loin dans leur réflexion. La peur immédiate passée, ils sont restés les mêmes, idolâtres et pervers.

L’assentiment de D.ieu

D’après les grands Kabbalistes (le Arizal et le Rama Mipanou qui interprètent les textes du Zohar), Yitro était la réincarnation (guilgoul) de Caïn ; Yitro est appelé le « KEINI », qui correspond du mot Caïn ( cf nombres 24-21,22 – juges 4-11)

Au départ, Yitro possédait les mêmes caractéristiques que Caïn, et tous les éléments du Mal étaient cristallisés en lui. Seule une volonté de fer et sa recherche inlassable de vérité lui ont permis de transformer sa personnalité et de réparer ainsi la faute de Caïn, qui se laissa emporter par ses pulsions.

D’après Rabbi Ménahem AZARIA, ce n’est pas seulement Pin’has mais aussi Rabbi Akiba qui fut l’un des descendants de Yitro ; des membres du Sanhédrin se compteront également parmi ses descendants (Midrach Tan’houma, cf. Pri Tzadik parachat Yitro).

C’est sans doute pour cela que Yitro a été celui qui conseilla à Moïse de nommer des juges pour le seconder.

Sa proposition fut acceptée et obtiendra l’assentiment de D.ieu et il sera à l’origine de l’ajout d’un passage entier de la Thora.

Comment se fait-il que ce soit Yitro qui eut le privilège de cette initiative ?

Encore une fois, ce fut sa recherche absolue de vérité qui l’amena à comprendre avant d’autres que tel devait être le système législatif dans le désert.

Nous comprenons à présent que l’histoire de Yitro figure comme introduction à Matan Thora car c’est seulement en s’imprégnant de ces enseignements que l’on pourra vraiment appréhender le message divin.

Fait particulièrement étonnant : malgré tout ce que nous venons de découvrir, et malgré le lien qui existe entre Yitro et le don de la Thora au Sinaï, ce dernier n’assista pas à la révélation sinaïtique !

C’est ce que nous révèle le Midrach :

« Moïse reconduisit son beau-père, qui s’en retourna dans son pays » Exode 18 ; 27). C’est après cette indication que débute la paracha du don de la Thora (Matan Thora).

«A la troisième néonémie depuis le départ des Israélites du pays d’Egypte, ils arrivèrent au désert du Sinaï le jour même » (Exode 19 ; 1).

Le roi Salomon dit dans les Proverbes : « Seul le cœur sent l’amertume qui l’envahit, de même dans sa joie, l’étranger ne pourra être mêlé» (Proverbes 14 ; 10).

La vie en péril ?

D.ieu dit : « Pendant que mes enfants étaient écrasés par le joug des Egyptiens et devaient travailler à fabriquer des briques et de l’argile, Yitro vivait paisiblement dans sa maison. Maintenant, il viendrait assister à la joie de la Thora ? »

C’est pourquoi Moïse reconduisit son beau-père et c’est ensuite que commença le départ vers le Sinaï (Yalkout Chimoni chapitre 271).

Rabbi Aharon Kotler (Michnat Rabbi Aharon volume 1 p. 16) interprète ce texte de la façon suivante :

* Effectivement, à travers sa recherche inlassable de vérité, Yitro est parvenu à découvrir D.ieu. Pourtant, le fait qu’il n’ait pas assisté à Matan Thora fait aussi partie de l’enseignement que nous devons tirer de cette paracha.

* La soif intarissable de vérité est certes le signe d’un niveau spirituel très élevé, mais la souffrance physique et morale que les Juifs ont supporté en Egypte sans que leur foi ne diminue, leur fait atteindre un niveau encore supérieur.

* Et au moment de la révélation divine, c’est cette expérience déterminante, cette caractéristique fondamentale, qui va leur permettre de saisir dans toute sa force l’événement qu’ils sont en train de vivre.

Il y a entre le peuple juif après la sortie d’Egypte et Yitro, la même différence (non de qualités innées mais de qualités acquises), qu’entre une personne qui trouverait miraculeusement une oasis, alors qu’elle était sur le point de mourir de soif dans le désert et celle qui ouvre un robinet d’eau courante.

Celui qui a vu la mort de près dans le désert, en découvrant miraculeusement de l’eau, est imprégnée d’une nouvelle compréhension de la Connaissance divine.

A l’inverse, celui qui ouvre un robinet, ne voit qu’un phénomène naturel et habituel.

Pourtant, dans les deux cas, c’est la parole divine qui a créé cet élément vital (l’eau) qui lui permet de calmer sa soif.

Celui qui a souffert, et qui a vu sa vie en péril, est prédisposé à une perception toute différente que celui dont la recherche de vérité s’est déroulé dans des conditions sereines.

Il nous faut donc, si nous cherchons à percevoir dans toute sa profondeur la grandeur de D.ieu, intérioriser ces deux notions : être épris de vérité et apprécier les difficultés et les souffrances que cette quête ne manquera pas d’entraîner. C’est ce qui nous permettra de jouir de la plus profonde et de la plus belle perception de D.ieu.