Chabbath Parachat korah

POURQUOI RESERVER UN LIEU DISTINCT POUR MOSHE ?

L’ARGUMENT DE KORAH

Korah contestait la nécessité d’une place en hauteur occupée par Moshé. Les six cent milles n’ont-ils pas tous, également entendu la parole divine au Sinaï. Evénement inouï fondement de l’égalité des hommes. Pourquoi réserver un lieu distinct pour Moshé ?

On reconnaîtra sans peine l’antique question de la constitution d’un espace publique juste. La démocratie propose une configuration circulaire du social, dans laquelle tous les hommes sont à égale distance du centre. Ce point central, autour duquel s’organise l’unité sociale, est lieu de la parole. La parole est mise en commun au milieu de tous ce qui est censée assurer un principe d’égalité des positions. Pourtant cette parole doit bien être portée et exprimée par un homme qui est propulsé au centre. Fin de l’égalité du fait de ce un en trop ! unité d’un tous moins un, de cet un qui s’excède du tous.

Le Mahané d’Israël, le camp des hébreux, échappera-t-il au tourment de l’espace démocratique. Autour de la parole divine également entendue par tous, s’établira-t-il une égalité sans exception ? Etant lieu d’une parole divine le centre du cercle peut ne pas être occupé par un homme. L’aporie du social trouverait ici un heureux dénouement.

La position de Moshé semble faire échec à ce projet. Il semble être érigé comme seul dépositaire de la parole d’origine, il occupe seul le centre du cercle. Véritable un en trop qui ruine radicalement l’égalité du tous.

LA POSITION DE MOSHE

Aveuglé par la jalousie, Korah méconnaît la position singulière de Moshé qui est au contraire fondement de l’égalité. L’écoute de la parole divine, son assomption dans l’existence se dit comme édout témoignage. Chacun témoigne de la parole sinaïtique.

Mais conformément au principe de halacha, le témoignage doit être porté par deux personnes. « C’est sur la bouche de Moshé et des six cent milles que se tient la parole prophétique » (Rambam)

Moshé n’est pas un médiateur par le biais duquel s’entend la parole divine. Les deux premières paroles ont été entendues également et directement par tous. Pour autant tous n’ont pas eu la même perception de ces paroles. Plus le sujet se fait lieu de cette parole, plus celle-ci s’énonce à travers lui. L’intensité maximale de cette réception est atteinte par Moshé. Sa position singulière est ainsi garante de la possibilité offerte à tous d’entendre directement et sans médiation la parole prophétique.

En cela Moshé est le véritable maître. Il enseigne le sens de la hauteur, il contraint l’élève à lever les yeux, il permet au sujet de se grandir et de s’élever. Si les hébreux, abrutis par quatre cent années d’esclavage, ont pu voir la voix divine, c’est parce qu’ils ont vu Moshé dans sa hauteur. Mais cette voix divine est alors appréhendée directement sans intermédiaire ni médiation.

La relation maître / élève a cela de particulier qu’elle commence dans la dualité pour s’éclore dans l’unicité de la position de l’élève. La parole ne saurait être entendue sans la présence du maître. Mais au terme de l’enseignement, l’élève entend cette parole divine directement sans passer par aucune médiation. Le maître a disparu !

JUSTICE ET ENSEIGNEMENT

Ce schéma singulier de l’enseignement se retrouve aussi dans le rapport de justice. Le magistrat perçoit dans la justice l’occasion d’un enseignement, d’un rappel à chac-un de l’assignation originelle qui lui fixe son lieu-propre. C’est bien pourquoi le Sanhédrin, la plus haute cour de justice, est aussi lieu de l’enseignement à partir duquel la Torah se diffusait dans tout Israël (Michné Torah Mamerim I, 1). La justice y est rendue conjointement à des décisions sur des questions de religion qui ne concernent pas les relations interpersonnelles.

Amalgame significatif de juridiction et d’enseignement, qui fonde l’affirmation de la valeur métaphysique de l’exercice des fonctions judiciaires assimilé à l’étude de la Thora, même lorsque le verdict est évident et n’impose aucune étude des textes. Le cas pratique qui suscite le jugement est appréhendé comme l’occasion pour l’écoute d’une parole de Thora. Nouvel dimension du jugement : « On aurait pu croire qu’il n’y a rien de plus dans l’exercice de la justice qu’une simple activité judiciaire. Un verset précise qu’il s’apparente en fait à l’étude de la Thora ». (berahot 6)

La conception occidentale du juge rattache ce dernier, dans son autorité et dans sa finalité, à la société. L’intérêt de la société est toujours la valeur première, même si à travers elle c’est le bien de chac-un qui est théoriquement recherché. Le juge intervient comme le représentant de l’Etat, mandaté par la société. Ce trait est particulièrement saillant dans la procédure pénale. Dans toutes les juridictions répressives, seul le Ministère public exerce l’action publique visant à la sanction des actes délictueux. Agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux, représentants de l’Etat et par-là de la Société, les magistrats du parquet requièrent l’application de la Loi dans l’intérêt de la société.

Le juge rabbinique ne sert, par contre, aucun intérêt autre que celui des parties au procès. Il n’est mandaté par aucune instance supérieure et l’exercice de sa fonction est justifié par la nécessité de porter secours à ceux qui ont perdu leur repère métaphysique. L’Impératif de justice enjoint le magistrat à répondre à toute demande, à ne pas renvoyer l’affaire devant un autre tribunal. C’est un commandement qui engage envers autrui. Le souci du prochain, le moi comme pour autrui empêche de rester sourd à la certitude de voir l’une des parties spoliée de son bien. C’est pourquoi si le juge craint des représailles il peut se désister. Car, comme toute action qui me dispose au service d’autrui, l’obligation est restreinte. Si elle nécessite un effort que je n’aurais pas fourni même s’il s’agissait de mon propre bien, elle n’est plus contraignante.

Perpétuel retour à l’unicité du sujet, à l’image de l’Unique.