Chabbath Parachat Nasso

La souffrance de D.ieu

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Un serpent d’airain, fabriqué par Moïse, va nous faire découvrir la signification des prières que nous adressons à D.ieu lorsque nous sommes en détresse…

A la fin du long périple dans le désert, juste avant d’entrer en terre promise, certains des enfants d’Israël ont perdu courage.

«Ils partirent de ‘Hor la Montagne dans la direction de la mer des Joncs, pour tourner le pays d’Edom. Le peuple perdit courage à cause de cette marche et il se plaignit de D.ieu et de Moïse.

‘Pourquoi nous avez-vous tirés de l’Egypte pour nous faire mourir dans ce désert ? Car il n’y a point de pain, point d’eau, et nous sommes excédés de cet aliment misérable (la manne).’

Alors l’Eternel envoya contre le peuple les serpents brûlants, qui mordirent le peuple et il périt une multitude en Israël.

Et le peuple vint vers Moïse et ils dirent : ‘Nous avons pêché car nous avons parlé contre l’Eternel et contre toi. Intercède auprès de l’Eternel, pour qu’Il détourne de nous ces serpents !’

Et Moïse intercéda pour le peuple. L’Eternel dit à Moïse : ‘Fais toi-même un serpent et place-le au haut d’une perche : quiconque aura été mordu, qu’il le regarde et il vivra !’

Et Moïse fit un serpent d’airain, le fixa sur une perche ; et alors, si un serpent avait mordu quiconque, celui-ci levait les yeux vers le serpent d’airain et il était sauvé. » (Nombres 21, 4-9)

Rachi (ibid.) nous précise la raison de cette perte de courage : les enfants d’Israël se voyaient tout près de la terre promise quand ils reçurent l’ordre de retourner en arrière.

Ils dirent : « C’est ainsi que nos pères ont dû rebrousser chemin pour errer dans le désert trente-huit années. » Ils perdirent espoir et en vinrent à se plaindre.

C’est la raison pour laquelle le serpent va les punir. Car le serpent lui-même a été puni par D.ieu pour avoir médit : l’un des châtiments qu’il a reçu fut d’être privé de la sensation du goût à tout jamais.

C’est donc ce serpent qui va punir ceux qui ont parlé contre D.ieu et contre Moïse, eux qui se sont montrés ingrats alors qu’ils jouissaient de la manne où chacun pouvait sentir le goût qu’il préférait. » (Midrach Bamidbar Rabba 19 ; 22).

Mais comment comprendre la réponse de D.ieu à Moïse, et quelle est la signification de ce serpent d’airain qu’il suffit d’observer pour guérir ?

Soumettre son cœur

D’après le Midrach (ibid.), le serpent n’était pas placé sur une perche, mais Moïse l’a projeté vers le ciel et il est resté suspendu dans les cieux, ce qui relevait du miracle.

Le Midrach interprète d’ailleurs le terme Ness dans le sens de miracle, et non dans le sens de perche.

Le Targoum Yonatan Ben Ouziel et le TargoumYérouchalmi ajoutent un nouvel élément, que nous trouvons également dans la Michna Roch Hachana (chapitre 3-8).

D’après leurs interprétations, il ne suffisait pas d’observer le serpent d’airain pour guérir : il fallait également soumettre son cœur à la parole divine (Y Ben Ouziel), et tourner son visage vers D.ieu en l’implorant par la prière (Targoum Yérouchalmi).

La Michna est plus explicite encore : « Le serpent peut-il faire mourir ou ressusciter ?

Certainement pas. La vraie signification de ce texte est la suivante : Lorsque les enfants d’Israël élevaient leurs regards vers le ciel en soumettant leur cœur à leur père céleste, ils guérissaient. Dans le cas inverse, ils succombaient. »

On le voit, c’est la prière venant du cœur, entièrement soumis à D.ieu, qui était exaucée.

Mais dans ces conditions, quel est le rôle de ce serpent d’airain suspendu ? Et comment comprendre les mots de la Thora qui précisent que c’est en regardant ce serpent que la guérison était possible ?

Scalpel et piqûres

Rabbi ‘Haïm de Volozhin, dans son ouvrage Nefech Ha’haïm (partie 2 chapitre 11, idem dans son commentaire Roua’h ‘Haïm sur les Maximes des Pères 3-2) propose une première interprétation, qui va nous permettre une nouvelle approche de la prière.

Les requêtes personnelles que nous adressons à D.ieu, en l’implorant de nous soulager de nos souffrances, présentent a priori un paradoxe.

Car l’un des fondements de notre foi est que rien n’est dû au hasard, et que tout ce qui émane de D.ieu, source de bonté infinie, est en réalité un bienfait pour l’homme, même si ce dernier ne peut comprendre exactement la nature de ces bienfaits.

Même les souffrances que l’homme doit traverser ont un effet réparateur sur les fautes qu’il a commises.

« Il n’y a pas de souffrances sans fautes » (Talmud Chabbath 55a), et c’est seulement à travers ses peines que l’homme peut réparer les dommages causés à son âme par ses actes.

Mais alors, comment peut-on demander à D.ieu de nous épargner des souffrances qui sont en fait le remède véritable pour d’autres souffrances, bien plus profondes et bien plus graves, celles de notre âme ?

A-t-on déjà vu un malade devant subir une opération vitale, supplier le chirurgien de ne pas opérer, pour éviter une souffrances passagère ?

Au contraire, toute personne sensée est prête à payer pour que ce médecin, pourtant simple être de chair et de sang pouvant commettre des erreurs, opère, avec scalpel et piqûres.

Pourquoi donc, lorsque que c’est D.ieu Lui-même qui envoie le remède pour l’âme, sous forme de souffrances sur terre, et même si elles sont pénibles, pouvons-nous prier pour ne pas les subir ?

C’est que notre intention (kavana) au moment de la prière, ne doit pas être la simple volonté d’éviter la souffrance.

« Je suis avec lui dans la détresse »

Il faut bien comprendre que lorsque D.ieu nous envoie des souffrances, Il est comme un père qui punit son fils pour son bien, pour le mettre dans le bon chemin.

Même si ce père sait qu’il a parfaitement bien agit en punissant, il souffre de voir son fils malheureux, sans doute même plus que l’enfant lui-même.

C’est ce que nos maîtres expriment dans leur langage (Talmud Sanhédrin 46a) :

« Rabbi Meïr dit : ‘Lorsque l’homme souffre, la Présence divine (che’hina) s’exprime ainsi : ‘Ma tête est lourde, mon bras souffre.’

Par ailleurs, les Midrashim interprètent le verset des Psaumes (91 ; 15) : « Je suis avec lui dans la détresse ».

Lorsque l’homme, par la prière, parvient à s’élever et à ressentir un profond chagrin d’avoir fauté, ce repentir, s’il est parfaitement sincère, peut annihiler les causes même de sa souffrance.

Mais le niveau le plus élevé de cette prière est que l’homme ressente, dans la mesure du possible, la souffrance qu’il a causé à D.ieu par sa faute, et que cette souffrance divine devienne presque plus difficile à supporter que la sienne propre.

D’après les Kabbalistes, cette identification avec la souffrance divine a le même effet réparateur que sa propre souffrance, purifiant ainsi son âme de la noirceur de la faute.

Sa propre faute aura été, de ce fait, entièrement réparée.

D’après Rav ‘Haïm de Volozhine, le serpent d’airain avait le pouvoir d’éveiller dans le cœur des enfants d’Israël ce sentiment sublime d’identification à la souffrance divine.

En l’observant, suspendu au dessus de la terre, on devait prendre conscience que la souffrance physique causée par la morsure était bien moins grave que celle causée à D.ieu

Car D.ieu souffrait, on l’a compris, du fait qu’Il avait dû punir, par une morsure mortelle, Ses enfants.

Rien en dehors de Lui

Rabbi ‘Haïm propose une deuxième interprétation dans la partie 3, chapitre 12, de son ouvrage :

En élevant leurs regards vers ce serpent suspendu, il fallait prendre conscience que chaque élément naturel, ou toute force surnaturelle n’existe, et n’a de pouvoir (bénéfique ou maléfique) seulement si c’est la volonté divine.

En observant simultanément ce serpent et les cieux, on devait s’imprégner de cette vérité absolue : le serpent n’a aucun pouvoir de nuire. Il n’existe que par la volonté divine, qui gère à chaque instant, tous les éléments de la création.

Parvenir à une prise de conscience absolue de ce concept élève l’homme à un niveau de proximité tel du Créateur que toutes les forces de la nature perdent leur emprise sur lui.

Même la morsure du serpent devient inoffensive.

Ce niveau sublime de foi est exprimée par les mots du verset :

Ein od milévado

:

il n’existe rien en dehors de Lui (Deutéronome 4 ; 39).

C’est seulement ainsi que l’observation du serpent d’airain pouvait guérir.

Citons à ce propos les versets des Rois II (chapitre 18 ; 4) concernant le règne d’Ezéchias :

«C’est lui qui fit disparaître les haut-lieux, qui brisa les stèles, détruisit les Achêra, et broya le serpent d’airain fabriqué par Moïse.

Jusqu’à cette époque, les Israélites lui offraient de l’encens. Il l’appela Nehushtân. »

Le Radak (Rabbi David Kim’hi) dans son commentaire (ibid.) précise :

« Depuis l’époque où les Rois d’Israël ont failli et se sont adonnés à l’idolâtrie, les enfants d’Israël lui présentaient des offrandes. Car ils croyaient que ce qui était écrit à propos du serpent d’airain était valable pour eux aussi : « Qu’il le regarde et il vivra » (Nombres 21 ; 8).

Ils en avaient déduit que le serpent pouvait servir d’intermédiaire entre D.ieu et eux, possédant un pouvoir propre et indépendant.

En fait, le serpent d’airain avait été conservé depuis l’époque de Moïse (tout comme l’avait été la manne) pour perpétuer à tout jamais le souvenir de la guérison miraculeuse de ceux qui avaient été mordus par le serpent brûlant.

Voyant qu’à l’époque de son père, ce serpent d’airain avait acquis le statut d’une idole, Ezéchias décida de le détruire.

Pourtant, même à cette époque, certains le regardaient bien comme un souvenir du miracle de D.ieu. Mais la faute des autres ne permettait pas qu’on le conservât.

Ezéchias le nomma Néhushtân (morceau d’airain insignifiant), nom qui venait exprimer son mépris à l’égard d’un simple objet de matière, et le broya.

Les intentions de D.ieu

Le Talmud ajoute que l’acte d’Ezéchias est l’une des trois initiatives qu’il a prises et qui ont joui des louanges des Maîtres d’Israël de son époque (Sanhédrin)

Par son acte, Ezéchias nous a appris que les objets les plus sacrés n’ont de valeur et de raison d’être que s’ils sont utilisés comme catalyseurs pour éveiller une foi véritable.

Bien sûr, la Thora a fixé des lois précises sur certains objets de culte.

Tout objet de culte, même fabriqué par Moïse sur l’ordre divin, n’a de raison d’existence que s’il éveille en l’homme de vrais sentiments de repentir et de reconnaissance absolue de la toute-puissance du Créateur.

L’idée de porte-bonheur ou d’objet fétiche est tout à fait étrangère à notre tradition, et elle représente, à travers toutes les générations, un grave danger : celui de nous écarter de la volonté divine véritable.

Si D.ieu a donné l’ordre à Moïse de fabriquer ce serpent, c’est seulement pour éveiller la conscience de ceux dont la foi avait été ébranlée, et qui avaient été, pour cette raison, mordu par le serpent brûlant.

Utiliser cet objet comme « faiseur de miracle » est une falsification grave des intentions de D.ieu.

Aujourd’hui encore, ce danger persiste. Les segouloth (actes rituels et traditionnels pour provoquer une chose) sont utilisés de façon si courante de nos jours, qu’ils se substituent par moment à la foi véritable.

Tous les objets, les actes et les rites qui ne font pas partie des 613 commandements de la Thora, n’ont de raison d’être que s’ils renforcent en nous la foi en D.ieu et en Sa parole, et notre engagement à suivre Ses voies.

C’est seulement dans ce contexte que l’on peut justifier leur utilisation, nécessaire le plus souvent à ceux qui ont été « mordus » par l’influence du monde extérieur, et qui peuvent, à travers eux, revenir à la foi véritable.

Ils ne sont en aucun cas recommandés à ceux qui peuvent directement puiser dans la Thora elle-même, et dans l’accomplissement des commandements divins, leur bonheur véritable.