Chabbath Parachat Behaaloté’ha

L’HARMONIE, OBJECTIF SUBLIME

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Un commandement apparemment ésotérique va nous amener à une leçon de vie particulièrement pertinente. L’occasion aussi de comprendre l’attitude de Jacob envers Ra’hel et Léa…

Notre

paracha

commence par l’ordre divin adressé à Aaron concernant l’allumage du candélabre.

Cet ordre est suivi par celui de la consécration des Lévites.

Ces derniers devaient d’abord être purifiés, pour ensuite apporter une offrande, et recevoir l’apposition des mains par le peuple juif.

A la suite de cela, Aaron devait opérait une vacillation (tenoufa), qui consistait à soulever le Lévite, et le diriger dans des sens différents.

Après ce processus , chacun des Lévites était investi du service divin.

«Tu distingueras ainsi les Lévites entre les enfants d’Israël, de sorte que les Lévites soient à Moi» (Nombres 8 ; 14)

Concrètement, pendant cette vacillation, Aaron devait soulever chacun des Lévite, ce qui représentait vingt-deux mille personnes en un seul jour.

Hormis le miracle, quel est le sens de cette action pour le moins ésotérique ?

La question est d’autant plus forte que la Thora semble accorder une importance très particulière à ce commandement puisque le texte biblique, si concis à l’habitude, répète cet ordre à trois reprises.

« Et Aaron opérera la vacillation des Lévites devant le Seigneur »(Nombres 8 ; 11)

«Puis tu placeras les Lévites en présence d’Aaron et de ses fils, et tu opéreras leur vacillation à l’intention du Seigneur» (Nombre 8 ; 13).

«Alors seulement les Lévites seront admis à desservir la tente d’assignation ; avant, tu les auras purifié et tu auras procédé à leur vacillation » (Nombres 8 ; 15).

D’après Rachi (8 ; 11), à chaque fois qu’il est question de ces vacillations, cela concerne une famille de Lévy différente.

Les pensées d’Aaron

Le premier verset concerne Kehat. On le remarque, il conclut par les mots : « (…) pour qu’ils soient consacrés au service du Seigneur ».

C’est une allusion au rôle des enfants de Kehat qui devaient porter les objets les plus saints du Tabernacle, notamment l’Arche, la table et le candélabre.

Le deuxième verset concerne Guershon, dont les descendants avaient aussi un rôle dans le transport du Tabernacle. Mais ces derniers devaient transporter des éléments (comme les rideaux, les tentures…) qui n’atteignaient pas le même niveau de sainteté que celles portées par Kehat. C’est pourquoi leur vacillation est seulement « à l’intention du Seigneur ».

Le troisième verset concerne les enfants de Merari.

Une question persiste cependant. Même si les trois versets désignent des familles de Lévy différentes, la Thora aurait tout de même pu exprimer ce commandement de vacillation en un seul verset…puisque l’acte est le même pour tous.

Nous sommes donc porté à penser que c’est d’une différence au niveau des intentions d’Aaron dont il est question.

En effet, Aaron devaient avoir des pensées et des intentions différentes au moment de cet acte, qui dépasse le simple cérémonial, qu’il s’agisse de Kehat, Guershon ou Merari.

En effet, Aaron devait, par ces vacillations, élever chacun des Lévites à un niveau particulier, correspondant à son rôle futur. C’est ce que la Thora exprime par cette apparente répétition.

Le Netsiv (Rabbi Naftali Z Yéhouda Berlin, Roch Yéchivat Volozhin), dans son commentaire « Heemek Davar » propose une autre interprétation que celle de Rachi.

La vacillation des Lévites comportait trois aspects différents, relatifs aux trois versets ; et c’est une tiple élévation qui devait être effectuée par Aaron.

Force de caractère

Le premier aspect concerne le corps, qui devait s’élever à un niveau de pureté particulier ; le deuxième concerne l’esprit, qui lui aussi devait atteindre une nouvelle dimension d’attachement à D.ieu.

Le troisième, qui est précédé de l’ordre de la purification (Nombres 8 ; 15) exprime le risque encouru par celui qui s’élève à un haut niveau spirituel.

Quel est ce risque ? Il est soit de s’enorgueillir, soit de ne pas agir avec assez de pureté compte tenu de la position morale que cette vacillation entraînait.

Après cette cérémonie, les Lévites devaient avoir une conduite à la hauteur de leur proximité avec D.ieu.

S’ils n’y parvenaient pas, ils pouvaient causer une profanation du Nom divin (‘hiloul Hachem).

(Heemek Davar Nombres 8 ; 11-13-15).

Nous avons déjà développé certains aspects concernant le niveau tout particulier de la tribu de Lévy (Dvar Thora Chemoth 5762 ; Bamidbar 5763).

D’après nos maîtres, le choix de la tribu de Lévy était dû au fait qu’elle fut la seule qui n’a pas failli au moment de la faute du veau d’or.

Cette force de caractère ne datait pas de cette époque-là, bien évidemment.

En Egypte déjà, alors que le peuple juif dans son ensemble était soumis à l’esclavage, la tribu de Lévy avait réussi à se consacrer exclusivement à l’étude et à la recherche de l’élévation morale, c’est la raison pour laquelle ils étaient exemptés de l’asservissement par Pharaon.

Pourquoi ? Parce que depuis toujours, cette tribu était reconnue comme le symbole de la Thora et de la morale.

Mais parmi tous les fils de Jacob, comment se fait-il que la tribu de Lévy ait réussi à s’élever d’une manière si extraordinaire ?

Maïmonide a une vision très intéressante de la place de Lévy au sein des autres tribus :

Avraham a transmis son héritage moral à Isaac, qui a diffusé cette foi autour de lui

Jamais oublié

Isaac a ensuite transmis cet héritage à son fils Yaakov, qu’il a investi d’enseigner la vérité.

Pour sa part, Yaakov a enseigné à tous ses enfants cette vérité et il a séparé Lévy pour le placer à la tête d’une Yéchiva où il enseignait les voies de D.ieu et les lois (mitsvoth) découvertes par Avraham.

Il a également exigé de ses enfants que les descendants de Lévy restent, au long des générations, les garants de cet enseignement, afin que celui-ci ne soit jamais oublié »

(Yad ha’hazaka Hil’hot Avodat Co’havim 1 ; 3).

Rabbi Haïm Chmoulevitz (Si’hot Moussar année 5732 p.18) nous éclaire sur ce sujet et propose une conception originale.

Pour cela, il nous faut lire attentivement le texte de la Thora concernant la naissance des tribus.

Arrivé chez Laban, Jacob propose à ce dernier de travailler sept ans pour pouvoir épouser Ra’hel.

Laban accepte, mais ce délai passé, il trompe Jacob et lui donne Léa.

Jacob devra s’engager à travailler sept années supplémentaires pour épouser Ra’hel.

« Jacob épousa également Ra’hel, et il aima Ra’hel plus que léa » (Genèse 29 ; 30).

«Le Seigneur considéra que Léa était haïe (senoua) et Il rendit son sein fécond. Léa conçut et enfanta un fils. Elle le nomma Ruben : ‘Parce que, dit-elle, le Seigneur a vu mon humiliation de sorte qu’à présent, mon mari m’aimera.’

Elle conçut de nouveau et enfanta un fils. Elle dit : ‘Le Seigneur a entendu que j’étais haïe et il m’a accordé aussi celui-là.’ Elle l’appela Simon.

Elle conçut à nouveau et enfanta un fils. Elle dit : ‘Ah ! Désormais, mon époux me sera attaché, puisque je lui ai donné trois fils.’ C’est pourquoi on l’appela Lévy» (Genèse 29 ; 31-34).

Le mot employé au sujet de Léa, haïe (senoua) est très violent, d’autant que l’on ne peut imaginer qu’un être aussi exceptionnel que Jacob, l’élu des patriarches, puisse éprouver de la haine envers sa propre femme !

Grâce à l’éclairage de nos maîtres, nous pourrons comprendre l’intention contenue dans ces mots.

Amour et haine

D’après Na’hmanide (29 ; 31) : Léa a réellement trompé sa sœur ainsi que Jacob. Car même si elle ne pouvait, par respect pour son père, refuser d’aller chez Jacob la nuit du mariage, ne pouvait-elle pas lui révéler sa véritable identité ?

C’est la raison pour laquelle Jacob l’a haïe.

Mais D.ieu savait qu’elle avait agit ainsi pour épouser un juste (tsadik), et c’est ce qui lui a fait mériter la miséricorde divine.

C’est ce que le Midrach précise : « Lorsque Jacob a vu comment Léa a trompé sa sœur, il décida de la répudier. Mais lorsque D.ieu lui accorda des enfants, il se dit : ‘Puis-je répudier la mère de ces enfants ?’ » (Béréchit Rabba 71 ; 2).

Mais cette « haine » n’était pas engendrée par une quelconque rancune.

Jacob possédait la vertu de vérité (émeth) à son degré le plus élevé. Il pensa donc que l’attitude de Léa, qui n’était pas compatible avec la vérité absolue, l’empêchait d’être associée à lui pour mettre au monde les tribus de D.ieu.

C’est à ce sujet que rabbi ‘Haïm Chmoulevitz cite le commentaire du Ohr Ha’haïm qui apporte un éclairage très particulier sur cet épisode.

Les versets que nous avons cités semblent a priori contradictoires.

Au départ, la Thora ne parle que d’un plus grand amour à l’égard de Ra’hel. C’est ensuite qu’il est précisé que D.ieu considère que Léa était haïe.

Mais à la première naissance, Léa ne se plaint d’aucune haine, elle espère seulement que cet événement déclenchera l’amour de son mari.

Ce n’est qu’à la suite de la deuxième naissance que Léa parle de cette haine, et qu’elle voit dans la naissance de Simon, la réponse de D.ieu à sa situation.

Ce qui semble étonnant, c’est qu’avant de rechercher l’amour, il faut d’abord faire disparaître la haine.

Le Ohr Ha’haïm ajoute un élément qui va nous permettre de comprendre cet ordre apparemment inversé.

Dès le départ, Léa n’est pas persuadée d’être celle qui a été élue dans le ciel (zivoug) pour devenir la femme de Jacob, celle qui lui correspond parfaitement.

Et pourtant, elle y aspirait de toute son âme.

Au plus profond des âmes

Mais pour tous ceux qui la connaissait, elle aurait dû épouser Essav (Rachi 28 ; 17). Et les circonstances de son mariage avec Jacob n’étaient pas pour lui enlever cette idée…

Voyant la froideur de Jacob à son égard, elle réagit comme tous les justes, en le jugeant le mieux possible (lekaf ze’hout).

Elle ne peut imaginer qu’il la hait, et le juge le plus positivement possible en pensant qu’il manque seulement d’amour pour elle.

De son côté, Jacob, par sa stature morale, ne lui a certainement pas montré des sentiments de ce genre. Car il ne les ressent pas lui-même, tant ils sont subtils.

Seulement D.ieu, qui voit au plus profond des âmes, discerne les éléments de cette situation.

A la naissance de son premier fils, Léa pense seulement que c’est par pitié pour elle que D.ieu le lui a accordé, afin de provoquer l’amour de Jacob.

Au moment de la naissance de Simon, Léa n’est toujours pas convaincue d’être le zivoug, la femme destinée à Jacob.

Mais elle va plus loin dans le raisonnement : si D.ieu lui a donné un deuxième fils, c’est qu’il ne fallait pas seulement provoquer l’amour, mais aussi faire disparaître la haine, et qu’il fallait donc deux étapes pour cela.

Enfin, lorsque Lévy naît, elle a la preuve qu’elle attendait tant qu’elle était celle que D.ieu avait prévue depuis toujours pour Jacob.

« Désormais, mon époux me sera attaché à tout jamais, car j’ai mis au monde une part entière des douze tribus (car Jacob avait en plus de ses deux femmes, les deux servantes, ce qui faisait donc quatre femme pour douze fils). »

(cf. Rachi ibid).

Jacob a lui aussi pris conscience à ce moment-là que Léa était celle qui devait être sa femme.

Et c’est finalement Léa qui sera enterrée près de lui à Mearat Hama’hpela.

Rabbi Haïm Chmoulevitz en déduit la conclusion suivante : Lévy, depuis sa naissance, est à l’origine de l’harmonie parfaite entre Jacob et Léa.

Nous comprenons à présent la place toute particulière de ce dernier au sein des tribus car être celui qui créé l’attachement des cœurs (kirouv levavoth) de ses parents entraîne d’être sanctifié à tout jamais.

Créer l’harmonie entre les êtres est un acte sublime aux yeux du Créateur.

Combien devons-nous investir pour que règne l’harmonie entre les êtres, et plus encore dans un couple !

Pour créer l’harmonie, que ce soit dans nos propres relations, ou entre ceux qui nous entourent, le meilleur moyen est de toujours chercher à mettre en relief les points positifs de l’autre.

C’est l’un des nombreux secrets que la Thora nous livre entre les lignes…