Chabbath Parachat Vaet’hanan – Na’hamou

La Thora : De père en fils !

Par le Rav Eliahou Elkaïm

Il est fondamental, pour la survie d’une société, que les enfants respectent leurs parents. Mais attention, les parents ont eux aussi leur rôle à respecter…

Dans la paracha de cette semaine, Moïse rappelle à la communauté d’Israël les points marquants de la révélation sinaïtique et ce qu’elle implique.

Et le décalogue est à nouveau cité. A travers les enseignements de nos maîtres, nous allons essayer de découvrir le sens véritable de la cinquième parole.

« Honore ton père et ta mère, comme te l’a prescrit l’Eternel, ton D.ieu, afin de prolonger tes jours et de vivre heureux sur la terre et que l’Eternel, ton D.ieu, te destine. » (Deutéronome 5 ; 16).

Une lecture attentive du décalogue nous fera remarquer que la première table de la loi concerne les relations entre l’homme et son Créateur :

« Je suis l’Eternel ton D.ieu ; Tu n’auras point d’autre D.ieu que Moi ; Tu n’invoqueras point le nom de l’Eternel, ton D.ieu, à l’appui du mensonge ; Observe le jour du Chabbath… »

Les cinq autres paroles, qui figurent sur la seconde table de la loi sont d’un autre ordre :

« Ne commets point d’homicide ; Ne commets point d’adultère ; Ne commets point de larçin ; Ne porte point contre ton prochain de faux témoignage ; Ne convoite point… »

Ces prescriptions sont inscrites dans le cadre des relations de l’homme vis à vis de l’homme, ce qu’on appelle : Ben Adam la‘havéro.

Cette répartition n’est certes pas due au hasard.

Père biologique

Un fait intrigue : Comment se fait-il que la cinquième parole se trouve sur la première table de la loi, alors que l’on s’attendrait, dans la mesure où elle concerne les relations entre les hommes, qu’elle figure sur la seconde ?

Rabénou Bahya, dans son commentaire (Nombres 20 ; 12), précise :

« Après avoir exigé de l’homme le respect pour son père céleste, on conclut par l’ordre de respecter son père biologique. Ainsi, de la même façon que l’homme est astreint à honorer son Créateur, il est astreint à honorer les deux autres associés qui ont participé à sa création. »

En effet, d’après nos maîtres, trois associés participent ensemble à la création de chaque être humain : D.ieu, le père et la mère (Talmud Nidda 31 a).

C’est la place où se trouve cette parole qui nous permet de définir sous quelle forme nous devons honorer nos parents.

Le fait que cette parole soit placée dans la table concernant les relations de l’homme avec son Créateur, nous apprend que le respect que nous devons à nos parents est du même ordre que celui que nous devons à D.ieu.

Et en reprenant les prescriptions de la première table, nous pouvons déduire plusieurs éléments :

- L’homme doit d’abord reconnaître le rôle de ses parents, qui l’ont mis au monde, et ne pas les renier.

- Il ne doit pas non plus jurer sur leur vie pour appuyer un mensonge.

Un respect désintéressé

Le respect que l’on accorde à ses parents doit être absolument désintéressé et ne doit en aucune façon être dicté par l’espoir d’une rémunération, d’un héritage d’argent ou d’une position sociale (situation professionnelle…).

Nos maîtres élargissent cette obligation au fait de veiller également au bien-être de ses parents : s’il le faut, on doit les nourrir, les habiller et les accompagner dans leurs déplacements, même si cela occasionne une dépense (Talmud Kiddouchin 31 b). »

On le voit, d’après Rabbénou Ba’hya, la raison principale qui fait que cette cinquième parole soit inscrite dans la première table est claire : la Thora veut que nous fassions l’analogie entre le devoir de l’homme envers son Créateur et son devoir envers ses parents.

Le Sefer ha’hinou’h (mitsva 33) apporte une nouvelle dimension à cette parole divine, qui va nous permettre de donner une autre réponse à la question de la place de cette mitsva dans le décalogue.

Vu l’importance du message délivré par le Sefer ha’hinou’h, nous le citons in extenso :

« L’idée essentielle de cette mitsva est que l’homme doit se montrer reconnaissant envers ceux qui lui ont fait du bien. Il ne doit pas se conduire de façon vile, dissimulée ou ingrate envers ses bienfaiteurs, car ce sont là des défauts graves, détestés par D.ieu et par les hommes. »

Or, il faut que l’homme soit conscient de ce que son père et sa mère l’ont engendré et mis au monde, qu’ils n’ont épargnés aucune peine, ni aucune fatigue pour lui lorsqu’il était petit. C’est pourquoi en vérité, il convient qu’il les honore et les comble de bienfaits à son tour.

En développant ainsi en lui des sentiments de reconnaissance envers ses bienfaiteurs, l’homme reconnaîtra finalement que c’est D.ieu qui est la source de tous ces bienfaits. Lui qui est la cause première de notre existence, de celle de nos ancêtres.

En remontant ainsi les générations jusqu’à celle du premier homme, il réalisera que c’est D.ieu qui lui accorde la vie, qui subvient à ses besoins, le maintient en bonne santé et en pleine forme.

Enfin, que c’est D.ieu qui, en lui donnant une âme, lui a permis de comprendre et de raisonner, car sans âme, l’homme ne se distinguerait pas de l’animal.

Ainsi, ce commandement fondamental qu’est le respect filial, fera comprendre à l’homme que son seul devoir est de servir D.ieu de toutes ses forces. »

On le voit, Kiboud Av vaem (le respect dû aux parents) ne se limite pas à la catégorie de ben adam lé’havéro (relation entre les hommes) puisque c’est la clef qui amènera l’homme à reconnaître les bienfaits de D.ieu.

Elle appartient donc également à la catégorie de ben adam la Makom (envers D.ieu) ; sa place à la fin de la première table vient du fait qu’elle est une transition

entre les deux tables.

Elle appartient donc aux deux catégories, ben adam la’havéro et ben adam la Makom.

Des parents comme des rois

En réalité, les devoirs de l’homme envers ses parents sont à l’origine de trois autres mitsvot, qui s’ajoutent à la mitsva de kiboud av vaem : honorer ses parents.

La première mitsva est : « Ayez crainte, chacun, de votre père et de votre mère (Lévitique 19 ; 3).

Les deux autres sont sous forme d’interdiction :

« Celui qui frappera son père ou sa mère sera mis à mort » (Exode 21 ; 15).

« Or, tout homme qui aura maudit son père ou sa mère doit être mis à mort ; il a maudit son père ou sa mère, il a mérité son supplice » (Lévitique 20 ; 9).

Maïmonide précise le sens de la crainte exigée vis à vis des parents.

« L’ordre divin de craindre ses parents signifie qu’il faut se conduire à leur égard comme on agit avec celui dont on craint la punition, comme le roi par exemple. »

« Avec le roi, on s’efforce de ne pas le contrarier, en aucun cas. » (Sefer Hamitsvoth, mitsva 211).

« Quelle est la différence entre honorer et craindre ? »

la crainte

envers ses parents s’exprime en ne siégeant pas à leur place, ni debout, ni assis, en ne contredisant pas ce qu’ils disent et en ne prenant pas parti pour une opinion qui est différente de la leur.

On n’appelle pas son père par son nom, ni de son vivant, ni après sa mort. Il faut utiliser le terme Abba Mari : mon père, mon maître. » (Yad ha’hazaka, hil’hoth mamrim 6 ; 3).

Une chaîne ancestrale

Le Sforno (Lévitique 20 ; 9) nous aide à prendre conscience de l’importance de cette mitsva, en expliquant le châtiment de celui qui maudit son père ou sa mère.

« Celui qui agit ainsi prouve qu’il est inapte à l’accomplissement de ce que les Proverbes enseignent : « Ecoute, mon fils, les remontrances de ton père, ne délaisse pas les instructions de ta mère. » (Proverbes 1 ; 8). Une telle personne ne suivra jamais les lois puisqu’elle ne les aura pas appris de ses parents. »

Avec sa concision habituelle, le Sforno, nous dévoile ici un principe fondamental qui nous aidera à comprendre le rôle des parents, d’après la Thora.

Les parents ne sont pas seulement appelés à élever, ni même à éduquer leurs enfants.

Ils doivent transmettre ce qu’ils ont eux-mêmes reçu de leurs parents.

Et lorsqu’on remonte les générations jusqu’à la révélation sinaïtique, on s’aperçoit qu’ils sont un maillon dans la chaîne qu’est la Massoret, la tradition véritable de toutes les valeurs morales et spirituelles.

Nous retrouverons plus loin la même idée dans un texte du Méche’h ‘Ho’hma.

Par ces lois et leur apparente rigueur, la Thora cherche à créer un terrain propice à cette transmission.

Et le Sforno va très loin en décrétant que celui qui a refusé et renié le message de ses parents sera probablement incapable de se plier devant tout système de lois.

C’est ainsi que l’on peut comprendre que la Thora ordonne un châtiment aussi rigoureux pour celui qui frappe ou maudit ses parents.

L’ordre

d’honorer

ses parents doit être compris dans le même sens, car il est nécessaire pour permettre une transmission des valeurs.

L’auteur du Matnath ‘Haïm cite à ce sujet un texte de Rabbi Yérou’ham de Mir :

« De par sa nature, l’homme cherche toute sa vie à trouver grâce aux yeux de son entourage. Ainsi, il essayera, par tous les moyens, d’imiter ce que son entourage considère comme une conduite honorable. A travers, cette identification, il espère être apprécié. »

Lorsque la Thora nous enjoint d’honorer ses parents, elle cherche à développer en nous un sentiment précis :

Si une personne est honorable, on cherche à trouver grâce à ses yeux ; si une valeur est bonne, il faut l’imiter.

C’est dans ce sens que nous devons comprendre la mitsva d’honorer ses parents.

A travers les marques d’honneur qu’on leur porte, on développe en soi la volonté profonde de suivre leur enseignement et de les imiter.

Ainsi, on utilise dans un sens positif, notre nature, dont l’une des caractéristiques a été soulignée par Rabbi Yérou’ham.

C’est l’équilibre entre l’honneur et la crainte qui sera le meilleur garant de la pérennité de la massoreth, la transmission des valeurs, de parents à enfants.

L’âme est un élément divin

Il est important de préciser que nos maîtres, preuves à l’appui, (Sefer ‘Harédim chapitre 1), considèrent la mitsva d’honorer ses parents et de les craindre, comme l’un des devoirs du cœur.

En effet, il ne suffit pas de manifester extérieurement l’honneur et la crainte que l’on doit à ses parents.

Ce sont des sentiments vrais que l’on doit éveiller en soi.

Le but véritable étant de développer la reconnaissance envers ceux qui nous font du bien et également de pouvoir devenir le récepteur de la tradition et des valeurs.

Le Maharal (Nétiv Ahavath Hachem chapitre 1), remarque par ailleurs que la Thora nous ordonne d’honorer et de craindre ses parents, mais elle ne nous demande pas de les aimer.

L’amour, poursuit le Maharal, peut se développer entre deux êtres qui se complètent ou, au contraire, qui sont d’une ressemblance parfaite.

La Ahava (amour), qui doit siéger au sein d’un couple, vient du fait que l’un complète l’autre pour réaliser ensemble leur mission dans ce monde.

Mais les parents ne complètent pas les enfants.

Dans la mesure où les enfants sont issus des parents, ces derniers identifient leurs enfants à eux-mêmes ; c’est ce qui crée l’amour filial. Mais cette identification est à sens unique.

Car les enfants n’éprouvent pas de façon naturelle ce même sentiment d’amour vis à vis de leurs parents.

On peut bien évidemment aimer ses parents parce que l’on est reconnaissant pour tout ce qu’ils ont fait pour nous. Mais c’est un amour d’une nature différente.

La mitsva de Ahavath Hachem (l’amour pour D.ieu) est réalisable car l’âme est un élément divin. L’unité de D.ieu entraîne que toutes les créatures restent attachées et dépendantes de Lui.

Une dernière remarque : le premier décalogue utilise des mots légèrement différents de ceux de notre paracha, quand Moïse le cite à nouveau.

On a vu en quels termes est mentionnée, dans notre paracha, la mitsva d’honorer ses parents. Voici les mots du décalogue, tel qu’il apparaît la première fois dans la Thora :

« Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que l’Eternel ton D.ieu t’accorderas. » (Yitro 20 ; 12).

Une mitsva qui dépasse l’individu

Un commentaire du Ralbag nous explique le lien entre cette mitsva et sa récompense annoncée dans le verset que nous avons cité :

« Si les cellules familiales d’un pays vivent dans la discorde, c’est la nation tout entière qui en sera altérée. Ce manque d’entente se répercutera sur l’ensemble de la société et amènera sa destruction. »

C’est ce que la Thora nous fait comprendre en liant le respect des parents (qui crée l’harmonie familiale) à une résidence prolongée sur la terre promise.

On le voit, l’importance fondamentale de ce commandement dépasse l’individu.

Sans transmission des valeurs des parents aux enfants, les fondements de la société sont ébranlés.

Nous conclurons par les mots de Rabbi Meïr Sim’ha de Dvinsk dans son commentaire, Méche’h ‘Ho’hma (Deutéronome 5 ; 16) :

« Dans le deuxième Décalogue, la Thora ajoute aux mots du premier, sur la mitsva d’honorer ses parents : « Comme te l’as prescrit l’Eternel, ton D.ieu ».

Quel est le sens de cet ajout ?

Pour répondre à cette question, il faut savoir, ajoute le Méche’h ‘Ho’hma, que nous connaissons deux raisons pour expliquer cette mitzva de kiboud av vaem :

1- Rendre aux parents ce qu’ils ont investis en se dépensant pour nous élever.

2- Reconnaître que c’est grâce à leur éducation et aux valeurs véritables qu’ils nous ont transmis que nous avons pu atteindre un certain niveau moral.

Ces deux éléments étaient moins évidents dans la génération du désert (dor hamidbar).

D’abord, les besoins matériels étaient entièrement comblés par l’intervention divine (la Manne, le puits de Myriam, les nuées…), ce qui limitait au minimum l’investissement parental dans ce domaine.

Ensuite, les enfants de cette génération ont vécu eux-mêmes la révélation sinaïtique, et ont pu jouir de la transmission directe des valeurs de la Thora par Moïse.

Ils n’étaient donc pas dépendants de leurs parents dans ce domaine non plus.

La Thora elle-même vient nous préciser que les mitsvoth dépassent le cadre de l’esprit humain, et que nous ne pouvons déceler qu’une partie des raisons profondes de ces mitsvoth.

Et même quand nous ne voyons aucune raison de réaliser une mitsva, on est tenu de l’accomplir.

C’est le sens des mots : « Comme te l’as prescrit l’Eternel ton D.ieu ».

Cela est encore plus important dans notre génération où les valeurs les plus fondamentales, y compris dans le domaine des rapports entre parents et enfants, ont été faussées, de s

’imbiber

du sens véritable de ces mitsvot.

« Les préceptes de l’Eternel sont droits, ils réjouissent le cœur ; Le commandement de l’Eternel est lumineux, il éclaire les yeux »

(Psaumes 19 ; 9)