Parachath Terouma

Le sanctuaire du cœur

Rav Eliahou Elkaïm

La paracha de cette semaine décrit en détail les consignes données par D.ieu à Moïse, concernant la fabrication du tabernacle. Par delà les descriptions techniques, c’est le principe de la Présence divine qui nous est dévoilé.

Dès le début, l’objectif est clair :

« Et ils me construiront un sanctuaire, pour que Je réside au milieu d’eux. » (Exode 25 ; 8).

Le dernier mot de ce verset « beto’ham », se traduit littéralement « en leur intérieur » A priori, « en son intérieur », aurait été plus adéquat, en référence à l’intérieur du sanctuaire.

De cet étonnant pluriel, nos Maîtres déduisent que ce verset possède un double sens : ce n’est pas seulement dans le sanctuaire que D.ieu va résider, mais aussi à l’intérieur de chaque Juif, plus précisément dans le cœur de chacun. C’est ce que nos Maîtres appellent Hachraat Hache’hina : la proximité divine.

Toutefois, une question est soulevée : pourquoi avoir lié la présence de D.ieu dans le cœur des Juifs avec la construction du sanctuaire ?

Et Moïse fit quelques pas en arrière…

Plus encore, l’idée même de limiter la Che’hina à l’enceinte du tabernacle paraît contredire le principe fondamental d’omniprésence contenu dans la prière que nous répétons trois fois par jour, en prononçant la Kedoucha :

« Saint, saint, saint est l’Eternel Cebaoth, la terre est pleine de sa gloire.» (Isaïe, 6 ; 3).

Moïse lui-même fut frappé par cette apparente contradiction (Midrach Yalkouth Chimoni chap 365) :

« A trois reprises, Moïse a été effrayé par les paroles de D.ieu, au point de faire plusieurs pas en arrière. Lorsque D.ieu lui adressa l’ordre de construire un sanctuaire pour résider parmi eux, Moïse a répondu : « Maître du monde, il est écrit : « Le ciel et tous les cieux ne pourraient Te contenir » (Rois 1 ; 8, 27) et Tu ordonnes de construire un sanctuaire ?

D.ieu répondit à Moïse : « Ce n’est pas comme tu le penses, vingt poteaux, du côté Nord, vingt du côté Sud et huit à l’Ouest et Je descendrai et limiterai la Che’hina ici-bas comme il est écrit : « C’est là que Je te donnerai rendez-vous» (Exode 25 ; 22) ».

Si la question de Moïse semble claire, la réponse de D.ieu est moins évidente.

Deux autres textes vont éclaircir notre compréhension du concept de la proximité de D.ieu.

Le septième ciel

« Semblable à tout ce que je t’indiquerai, c’est-à-dire au plan du tabernacle et de toutes ses pièces, et vous l’exécuterez ainsi» (Exode 25 ; 9). Rabbi Ovadia Seforno (XVème siècle) explique : « T

out ceci pour que je puisse résider parmi vous, pour te parler (à Moïse), et recevoir les prières et les offrandes d’Israël. » Cette situation sera différente de celle qui a précédé la faute du veau d’or. Car alors, la Che’hina se trouvait partout, comme il est écrit : « En quelque lieu que je fasse évoquer Mon Nom, je viendrai à toi pour te bénir.» (Exode 20 ; 21).

Le Midrach (19 ; 13) précise : « Après la création, la Che’hina se trouvait dans le monde ici-bas. Après la faute d’Adam, elle est retirée dans le premier ciel ; après la faute de Caïn, dans le deuxième ; Après la génération d’Enoche, dans le troisième, après la génération du déluge, dans le quatrième ; après la génération de la tour de Babel, dans le cinquième ; Après Sodome au sixième, et à l’époque de l’Egypte, du temps d’Avraham, dans le septième ciel. »

Contre ces fautes qui font « fuir » la Che’hina, sept hommes justes la font revenir. Il s’agit d’Avraham, qui l’a fait redescendre au sixième ciel, Isaac au cinquième, Jacob au quatrième, Levy au troisième, Kehat au deuxième, Amram au premier et Moïse qui l’a fait redescendre sur terre, comme il est écrit : « Le Seigneur est descendu sur le mont Sinaï » (Exode 19 ; 20). »

Comme le Seforno l’a indiqué, après la faute du veau d’or, la Che’hina a quitté notre monde pour retourner dans les cieux.

Mais quelle est la signification véritable de la présence de la Che’hina ? Un texte de la Hagada de Pessa’h nous aidera peut-être à comprendre le sens de ce concept de la Che’hina.

«Et Il nous fit sortir de l’Egypte avec une main puissante et un bras étendu, en imprimant la terreur, en opérant signes et prodiges. » (Deutéronome 26 ; 8).

« Bemora gadol se traduit en général par « en imprimant la terreur ». Pourtant, la Hagada rapporte une explication différente de nos maîtres : « Bemora gadol » : c’est l’apparition de la Che’hina.

Quel rapport y a-t-il entre la terreur et la Che’hina ? Et pourquoi D.ieu a-t-il dévoilé sa Présence au moment de la sortie d’Egypte ?

La lumière divine

Le Sefat Emeth explique que voir la Che’hina signifie percevoir dans son cœur de façon claire et sans équivoque la main de D.ieu qui dirige notre monde. Cette perception parfaite eut lieu au moment de la sortie d’Egypte, lorsque D.ieu s’est dévoilé de façon éclatante. La conséquence automatique de cette perception est la crainte profonde du Créateur qui s’installe dans les cœurs. Ce n’est pas par hasard que le mot « YIREA » (crainte) comporte exactement les mêmes lettres que « REYIA » (vue). Voir la main de D.ieu permet au cœur de ressentir la crainte véritable de D.ieu.

En réalité, toute la création est décrite par nos maîtres comme une réduction de la lumière divine qui cache, derrière l’opacité de la matière et des lois naturelles, le caractère absolu de la Divinité.

Au départ, cette opacité laissait passer une lueur claire, la Che’hina. Celui qui le souhaitait pouvait percevoir la main de D.ieu. C’est la dégradation du niveau spirituel et moral du monde depuis la faute d’Adam jusqu’à la perversion de l’Egypte, qui a atténué, petit à petit et par étape, cette lueur. C’est ainsi que l’on peut comprendre le phénomène de la Che’hina qui se réfugie dans les cieux.

Les patriarches ont permis au monde de retrouver une proximité plus grande avec la Che’hina. Et c’est seulement lors de la révélation au mont Sinaï que le monde a pu revenir à son état initial. La réalité divine est devenue éclatante, et parallèlement, la crainte profonde du créateur a pu s’installer dans les cœurs des Juifs.

C’est ce que Moïse a expliqué après la révélation sinaïtique : « Moïse répondit au peuple : Soyez sans crainte ! C’est pour vous mettre à l’épreuve que le Seigneur est intervenu, c’est pour que Sa crainte soit toujours présente en vous, afin que vous ne péchiez point. » (Exode 20 ; 17).

Evidemment, le libre-arbitre a continué d’exister, comme il le fut pour Adam, mais dans un contexte où D.ieu était beaucoup plus présent.

Malheureusement, cette situation idéale n’a pas perduré. La faute du veau d’or a fait régresser toute l’humanité et même le repentir du peuple d’Israël n’a pas suffit à faire revenir la Présence de la Che’hina dans notre monde.

Le monde ne méritera plus de voir la Che’hina de façon éclatante.

C’est alors qu’une nouvelle formule est proposée par D.ieu.

La lumière devint lueur

Le principe fondamental du « Tsimtsoum » (réduction de la lumière divine), dont nous avons parlé plus haut et qui permet à notre monde d’exister, va être utilisé pour « réduire », pour limiter la Présence divine à un espace matériel déterminé, celui du sanctuaire.

Dans cette enceinte, on pourra percevoir clairement la main de D.ieu qui dirige ce monde, et de ce fait, renforcer sa crainte du Ciel.

Ainsi, la Che’hina pourra rayonner dans le cœur de tous ceux qui s’y prépareront. On comprend à présent le lien entre le sanctuaire et la Présence divine dans les cœurs.

Posséder la Che’hina en soi (dans son intérieur), signifie que le cœur perçoit la main divine, permettant de ressentir une crainte permanente du Maître de ce monde. Le but fondamental de la résidence de D.ieu dans notre monde est atteint.

Depuis la destruction du Temple, nous n’avons malheureusement plus mérité d’avoir la Che’hina parmi nous. Cette perception visuelle, si limitée qu’elle fut, ayant disparue.

Nos maîtres nous enseignent que la Che’hina est toujours présente. Moins claire, moins éclatante, elle existe tout de même, dans les lieux de prières et d’étude. A condition toutefois de respecter la sainteté de ces « petits sanctuaires ».

A travers l’étude, la réflexion et la prière, soutenues par une volonté forte, il nous est toujours donné de percevoir la main de D.ieu qui dirige le monde, parvenant ainsi à réaliser le but ultime de la création.

« C’est pour que sa crainte soit toujours présente en vous, afin que vous ne pêchiez point. » (ibis).